Article paru le 1er mars 2014
Y a-t-il une vision féminine de l’Iran que traduirait le cinéma florissant des femmes iraniennes ? Chaque film est un regard sur une histoire, un point de vue, un moment de vérité, la vérité d’un moment, sur une société aux multiples facettes.
Les femmes se sont, en Iran, emparées de cet art, le plus populaire. Retour sur les grandes lignes de cette aventure passionnante.
La révolution n’empêche ni le cinéma et ni la place de la femme de se développer dans le cinéma ?
Le cinéma féminin iranien parle surtout des problèmes des femmes, et il le fait « par nécessité ». C’est certainement ce trait là que toutes les cinéastes iraniennes partagent. Au regard de la situation de la femme en Iran, mais, comme dans beaucoup d’autres pays du monde, cela en fait de facto « un cinéma engagé», nous dit Asal Bagheri. Le cinéma est devenu le vecteur de la critique sociale en Iran et les femmes y tiennent un rôle important. La mise en lumière des femmes et la place croissante qui est accordée à leur regard se sont développées après la Révolution iranienne.
Le paradoxe n’est pourtant qu’apparent. La Révolution a changé la place des femmes dans la société iranienne et d’autre part, que Khomeiny, lui même, n’a pas renié le cinéma comme art : déjà en 1979, il affirmait qu’il n’était pas contre le cinéma ou la télévision, mais seulement contre ses aspects immoraux et impérialistes. Les femmes, dès lors, purent travailler derrière puis devant la caméra.
Pour les femmes, ce nouvel espace conquis par elles s’est accru avec la guerre Irak – Iran. En envoyant une multitude d’hommes au front, le conflit irano-irakien a laissé les femmes seules, cultivant et nourrissant le sentiment de leur indépendance.
La « grammaire de la modestie » s’impose mais crée un regard particulier
La « modestie » – Effat en persan – caractérise généralement le cinéma en Iran et particulièrement celui fait par des femmes et/ou sur les femmes : cette attitude relève bien plus de la pudeur, de la retenue et de la distance vis-à-vis des choses que de l’humilité ou de la piété.
Cette « grammaire de de la modestie » qui a été imposée par les autorités à l’art en général, et en particulier au cinéma, a paradoxalement permis aux femmes de s’exprimer dans le cadre de la censure et en portant ce «regard particulier » sur le monde.
La première femme à l’écran, le tournant à la fin des années 1980
Si le cinéma devient donc acceptable – la famille traditionnelle n’associe plus le cinéma avec la décadence mais le reconnaît, au contraire, comme un espace où les femmes peuvent prendre la parole – l’évolution s’avérera pourtant lente. De quasi inexistante au début de la Révolution, la présence de la femme devant et derrière la caméra ne s’affirme que très progressivement.
Après la Révolution, alors que la nation iranienne cherche son chemin, la présence des femmes à l’écran est réduite au « décor » ; elles se cantonnent à des rôles pieux et de mères de famille. Mais à la fin des années 1980, la présence des femmes s’affirme et ce tournant est incontestablement lié au film Bashu le petit étranger (1987) du réalisateur Bahram Beyzai. Pour la première fois, non seulement une femme apparait en gros plan, mais Bahram Beyzai filme son regard. Bashu le petit étranger, malgré une censure de trois ans (produit en 1987 mais autorisé à l’écran seulement en 1990), change à tout jamais en Iran l’image de la femme à l’écran. Le thème du film n’est pourtant pas la femme en tant que telle, il raconte la guerre et le racisme interrégional : une femme qui vit au nord de l’Iran rencontre un enfant à la peau foncée du sud. Sousan Taslimi, l’actrice principale est magnifique, son regard et son rapport direct à la caméra persistent encore dans l’imaginaire iranien. Les dirigeants ont fini par accepter ce cinéma là.
Des regards divers qui racontent tous une part de la vérité iranienne
Aujourd’hui, Asghar Farhadi (A propos d’Elly, Une séparation) est incontournable pour découvrir le cinéma iranien : il a été fait Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres par l’ancienne ministre française de la Culture, Aurélie Filippetti.
Mais il faut se pencher aussi sur l’œuvre de la réalisatrice Rakhshan Bani-Etemad pour comprendre la condition des femmes en Iran. Rakhshan Bani-Etemad décrit avant tout les maux de la société iranienne. Ce faisant, elle ne peut pas ne pas aborder les problèmes de la femme iranienne. C’est donc à travers des angles multiples que Rakhshan Bani-Etemad porte un regard aiguisé sur la société iranienne : La dame de mai (1998) raconte l’histoire d’une femme cultivée, documentariste, divorcée et mère d’un adolescent, et qui a un amant ou, à l’opposé, Sous la peau de la ville (2000) met en scène une femme pauvre qui travaille dans une usine et se bat pour sa famille.
C’est cette multiplicité qui peut nous donner une perception plus juste et moins décalée sur la réalité iranienne. Le cinéma des femmes iraniennes existe et sort de la nécessité pour prendre sa liberté.
Asal Bagheri
Spécialiste du cinéma iranien