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Patricia Lalonde, chercheur associée à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) livre un plaidoyer en faveur de l’Iran. Loin des clichés souvent véhiculées évoque la diversité de ce pays, bien plus occidentalisé que d’autres pays du Moyen-Orient.
Article publié le 1 avril 2014 à 14h35
C’est en Afghanistan que j’ai découvert l’Iran… Ce sont mes amies afghanes victimes de l’oppression des talibans qui me parlaient toujours d’une sorte de modèle iranien… « C’est en Iran, à Machad, à Teheran, que nous allions nous procurer les livres en persan pour les nombreuses écoles construites après la libération du pays. »
C’est par Reza Deghati, ce grand photographe, ami de la culture perse, qui fera connaître par ses nombreuses expositions de photos la réalité du conflit afghan. Par mes amis de l’Alliance du Nord, qui mettaient leurs enfants à l’école iranienne de Douchambé pendant l’occupation des talibans. A chaque séjour en Afghanistan, je revenais pleine d’espoir pour mes amis, je revenais un peu dans l’idée que les Afghans et les Afghanes aspiraient à la modernité iranienne, s’identifiaient à leur culture perse, bercée de soufisme.
Evidemment, vu de France, ce n’est pas la même chose. L’Iran est ostracisé pour les raisons géopolitiques que nous connaissons :
Le pays des ombres noirs, le pays des mollahs, le pays qui veut rayer Israël de la carte, le pays qui soutient Bachar Al-Assad, le pays des lapidations : nous nous souvenons de Sakhineh… Le pays où les droits de l’homme sont bafoués.
Je reviens de Téhéran dans le cadre d’une mission pour essayer de me faire une idée de la réalité, loin des images souvent embellies des Afghanes, mais loin aussi des images véhiculées dans nos médias.
Une image déformée en Occident
Téhéran est une ville gigantesque, un mélange de Kaboul, pour sa pollution, ses embouteillages terribles, ses montagnes, et ses constructions inachevées, de New York pour son dynamisme et de San Francisco, pour ses rues qui descendent et qui montent. La longue histoire et la culture perses sont omniprésentes.
La première chose qui frappe en arrivant est le nationalisme ambiant : Les drapeaux iraniens flottent partout, à l’aéroport, sur les ponts, devant tous les établissements publics, dans les jardins.
Mais, le plus frappant ce sont les fresques sur les murs qui jalonnent les rues. Ces fresques représentant les martyrs de la guerre Iran/Irak, cette guerre qui a duré plus de huit années et qui a fait tant de morts. Chaque martyr est identifié à un symbole du pays. Ce sont des peintures naïves qui vous saisissent et qui vous rappellent à quel point le peuple iranien a souffert.
Claire Tréan avait écrit dans un livre intitulé, Le paradoxe iranien (2006), qu’elle avait trouvé ces peintures oppressantes, sans doute parce qu’elles côtoient celles du Guide suprême. Pour ma part, j’ai trouvé poignant le fait que les Iraniens et les Iraniennes vivent au milieu de leur jeunesse sacrifiés.
Comme nous l’a expliqué la jeune femme qui nous accompagnait, les femmes de la génération de cette guerre ne trouvent pas d’hommes à épouser… Ils sont morts au combat.
Alors elles ont appris à vivre célibataires, ce qui ne pose apparemment pas de problèmes. Cette femme a un important travail intéressant dans le plus gros think tank iranien.
La jeunesse est moderne, les filles sont vêtues à l’occidentale, à l’exception du voile sur la tête qui, le plus souvent, est un foulard de couleur noué sous le menton, façon années 60 en Occident. D’autres ont choisi de garder le long vêtement noir, le tchador, qui laisse le visage complètement découvert. Vous n’êtes donc pas agressés par ces fantômes que vous croisez dans les pays du Golfe. Contrairement à que l’on entend, ce ne sont pas uniquement les jeunes qui sont vêtus à l’européenne, les femmes d’un certain âge le sont également… Dans les quartiers très pauvres, le tchador est plus présent.
Hormis quelques rares mollahs que vous pouvez croiser de temps à autres, et certaines peintures du guide suprême sur les murs, le poids de la religion ne se fait pas sentir, laissant croire à une certaine liberté quand au détour d’une rue, vous tombez sur une église. Le muezzin ne résonne pas plusieurs fois par jours comme dans certains pays musulmans sunnites.
Le taux d’alphabétisation de 93%, chez les 17-40 ans place l’Iran bien en tête de la plupart des pays de la région.
Les jeunes filles sont très nombreuses à l’université, elles sont très nombreuses à travailler, peut être plus dans le secteur privé que dans les administrations ;
Les femmes participent à la vie politique du pays, même si elles ne sont pas nombreuses au Parlement, environ 10%… Il y a un divorce sur 5 mariages en Iran. La polygamie reste complètement marginale. Le taux de natalité est passé de 7 enfants en moyenne à 2 enfants par couple. L’excision y est interdite.
Ils lancent aujourd’hui un appel a la France : « Pourquoi tant d’incompréhension entre nous ? » Voilà le leitmotiv que nous avons entendu tout au long de notre séjour chez nos divers interlocuteurs.
Pour eux, la France est un grand pays qui a une longue histoire avec l’Iran. Ils vénèrent de Gaulle, ils ne comprennent pas notre amitié avec l’Arabie Saoudite, qui est loin d’être un modèle en matière du respect des droits de l’homme. Ils pensent que nous paieront cher cette alliance un jour ou l’autre. Ils sont fiers d’expliquer qu’ils respectent les communautés juive et chrétienne présentes dans le pays. Cinq députés représentent les minorités au « Majlis », leur Parlement.
Ils ont conscience des dérapages verbaux d’Ahmadinejad.
J’ai quitté Téhéran, avec l’envie d’y retourner et de découvrir le pays. J’ai quitté Téhéran avec l’espoir que la politique d’ouverture suivi par le Président Hassan Rohani ne sera pas un feu de paille. Les Iraniens sont désireux de s’ouvrir à l’Occident. Peut-être ne devrions-nous pas laisser passer cette opportunité.