Du dimanche 29 novembre 2015, jour de l’ouverture de la COP21 à Paris, le monde gardera en mémoire ces images de la quasi-totalité des chefs d’État réunis pour amorcer ces négociations, espérons-le, historiques.
Pourtant si, ce jour-là, si les habitants du Nord-Est de la Chine avaient les yeux humides et la gorge piquante, ce n’était ni par émotion ni à cause des gaz lacrymogènes répondant à une mobilisation, mais bel et bien à cause d’un nouvel épisode de « l’Airpocalypse ». Comme si le monde et ses dirigeants avaient besoin d’une piqûre de rappel sur l’urgence du problème climatique, la capitale chinoise et sa région ont en effet fait face à une pollution atmosphérique particulièrement grave (des taux de PM2.5 jusqu’à 35 fois supérieurs aux normes sanitaires), une situation inédite que les netizens et les médias chinois n’ont pas manqué de relever : « Pour le bien du climat, ils devraient peut-être songer à organiser la prochaine conférence à Beijing » ironisait ainsi le Shanghaiist.
Les Chinois, justement. Alors qu’en Chine le Parti communiste et le gouvernement sont apparus volontaires à l’approche de la COP21 – en souhaitant notamment un accord contraignant et s’imposant des objectifs ambitieux –, que pensent les citoyens ? Comment agissent-ils ?
D’abord, si les dirigeants chinois apparaissent aussi enclins à prendre des mesures fortes pour la protection de l’environnement, c’est avant tout parce qu’ils ont pris conscience de l’ampleur du problème dans leur propre pays et des conséquences sociales et politiques potentiellement désastreuses pour le régime. Dans l’introduction de leur article sur la gouvernance environnementale en Chine, les universitaires Richard Balme et Tang Renwu citent des chiffres éloquents rapportés au Politburo du congrès national du Parti communiste chinois en 2012 : les « incidents de masse » – comprendre « manifestations » – dus aux problèmes environnementaux avaient augmenté de 120 % entre 2010 et 2011 au lieu de la moyenne annuelle de 29 % entre 1996 et 2011. Ces mobilisations marquent généralement l’opposition des populations locales au développement de nouvelles infrastructures potentiellement polluantes, ou font suite à des catastrophes écologiques et humaines, comme après l’explosion de Tianjin en août dernier.
Mais au-delà de ces mobilisations ponctuelles qui concernent davantage les zones rurales et des populations moins informées, la classe moyenne chinoise s’empare progressivement de la question. Souvent éduqués, urbains, informés et connectés, ces citoyens représentent une force bien plus intimidante pour le pouvoir central. Pensons notamment au succès du reportage Under the Dome de la journaliste Chai Jing, qui dénonçaient les grandes entreprises publiques et l’inefficacité des autorités contre la pollution atmosphérique. En deux jours, la vidéo avait été visionnée par plus de 200 millions de netizens, sur un total de 650 millions de Chinois ayant accès à Internet.
Under The Dome en version originale, sous-titré en français :
Actions individuelles ou collectives : la montée en puissance de la société civile
Avant toute chose, rappelons que la Chine est un régime autoritaire dans lequel la participation de la société civile, bien que rare et complexe, existe.
Il existe donc bel et bien un champ d’action et d’expression pour la lutte contre le réchauffement climatique, mais peu ouvert à la participation directe des citoyens. En effet, il est essentiellement composé d’ONG agrémentées et des médias traditionnels. Toutefois, sa force d’action est en pleine expansion depuis quelques années, et cela, avec le feu vert du pouvoir central. D’abord, dans sa déclaration d’intentions pré-COP21 publiée le 30 juin dernier, la Chine affichait sa volonté « d’élargir la participation des parties prenantes », autrement dit de faire appel à la responsabilité des entreprises, d’« encourager les actions volontaires du public pour combattre le changement climatique », « laisser les médias jouer le rôle de supervision et de conseil », « améliorer l’éducation sur les questions environnementales et, pour ce fait, d’utiliser pleinement les écoles, les communautés et les organisations civiles ».
Ensuite, dans la pratique, cette tendance a déjà connu une étape significative le 1er janvier 2015 avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi environnementale qui a offert à 300 organisations indépendantes la possibilité de poursuivre en justice les responsables de pollutions majeures, au nom de l’intérêt public. Un bouleversement alors salué par les responsables associatifs, comme Wen Yu, directeur de Green Hunan, cité par China Daily : « Informer le peuple des problèmes environnementaux n’est pas suffisant. Ils ont besoin de recours légaux ». Bien que les frais de justice demeurent insurmontables pour la plupart de ces organisations aux moyens très limités, le 29 octobre dernier, deux ONG chinoises remportaient le premier procès de ce genre dans une affaire de carrière sauvage. Depuis, les responsables associatifs espèrent que ce cas fera jurisprudence rendant cette avancée bien réelle.
Gare à l’instrumentalisation politique
Aujourd’hui donc, la lutte contre le réchauffement climatique en Chine semble connaître une bonne dynamique. Mais, le plus grand risque demeure celui de l’instrumentalisation politique du sujet. On le sait, la motivation des dirigeants tient à leur crainte des réactions populaires. Les déclarations d’intentions, les objectifs ambitieux, les chiffres de réduction des émissions (la Chine a récemment annoncé qu’elle aurait atteint les objectifs de son 12e plan quinquennal six mois avant l’échéance) doivent être questionnés et vérifiés. Car il y a aussi une part de communication politique dans ces décisions (comme l’a montré le retournement d’attitude à l’égard de Under the Dome, après avoir reçu un accueil bienveillant, le reportage a été censuré lorsque son ampleur a échappé au contrôle du pouvoir). En somme, les dirigeants chinois gardent à l’esprit de ne pas ouvrir la boîte de Pandore qui remettrait en cause leur légitimité.