Sur le terrain, la situation s’envenime de jour en jour : la FNSEA Bretagne boycotte ce matin une réunion sur la filière porcine à la préfecture de Rennes. Le gouvernement venait de proposer mardi des mesures d’ajustement au plan d’urgence pour les filières d’élevage de juillet 2015. Pour autant, les éleveurs, mobilisés depuis la semaine dernière, refusent de baisser la pression. Les blocages autoroutiers et les opérations escargots à travers le pays semblent partis pour durer voire s’étendre sur tout le territoire.
Au départ, le rendez-vous était pris avec le président de la FNSEA pour évoquer les enjeux structurels du monde agricole. L’entretien arrivant au cœur d’un nouvel accès de fièvre dans le monde agricole, il a transformé l’exercice en un tour d’horizon à chaud sans oublier le cap sur le moyen terme, notamment les élections présidentielles de 2017.
Que pensez-vous des mesures proposées par votre ministre ?
Le ministre nous promet un ajustement de 250 millions d’euros au plan d’urgence de 700 millions, annoncé le 3 septembre dernier. Moi, je dis qu’il faudrait déjà que le plan original soit concrétisé dans sa totalité, ce qui n’est pas le cas. Nous redemandons une année blanche sur les dettes fiscales et bancaires, répartie entre État, banques et éleveurs.
Je demande aussi que le problème de la grippe aviaire soit traité comme toute catastrophe sanitaire. C’est une question de solidarité nationale. D’autant que dans la loi de finances 2016, le gouvernement a ponctionné 250 millions d’euros sur le fonds d’urgence des agriculteurs, constitué par leurs cotisations obligatoires. Finalement, on pourrait presque dire que les 250 millions supplémentaires annoncés avant-hier pour gérer le problème de la grippe aviaire, c’est un juste retour des choses.
Tous les six mois, face aux déficits structurels des filières d’élevage, le monde agricole s’enflamme. Ne sait-on traiter les causes structurelles plutôt qu’adopter des mesures conjoncturelles qui ne soignent pas le malade ?
Les filières d’élevage ne peuvent survivre avec des prix agricoles au plus bas.
D’un point de vue global et international tout d’abord, je relève que l’économie mondiale, et notamment le monde agricole, ne pourra se relever avec des cours des matières premières, pétrole en tête, au plus bas pendant une trop longue période. Cette situation a, entre autres effets désastreux, de compresser les possibilités d’exportation des produits agricoles vers des pays stratégiques pour nous et dont les ressources se tarissent dangereusement. Nous sommes dans un paradoxe tel que même les événements climatiques d’une part et le dynamisme des besoins alimentaires de la population mondiale n’influent plus sur les cours. Ensuite, l’embargo russe a accru la pression à la baisse.
Pour ce qui est de la PAC, il manque une régulation européenne qui rectifie les distorsions de concurrence avec les producteurs espagnols et allemands engagés depuis 15 ans dans une course folle à l’accroissement de leur production. La filière porcine française souffre de ces 0,30 euros qui nous manquent pour tout juste équilibrer les comptes d’exploitation de nos 4 500 producteurs.
Il serait aussi nécessaire d’alléger les processus décisionnaires au niveau européen. Je suis un Européen convaincu mais l’Europe est devenue incompréhensible : à chaque étape d’une discussion à Bruxelles, on complexifie. Résultat, tout prend trop de temps : par exemple, la PAC qui aurait dû être bouclée en décembre 2015 ne le sera pas avant mars-avril ou peut-être même mai-juin 2016.
En France enfin, il faudrait déjà améliorer le travail entre les institutions et les agriculteurs. Pour cela, il faut, d’abord, plus de concertation à la source. Lorsque, dans les comités décisionnaires, il y a cinquante technocrates et un paysan au milieu, ça ne peut pas aller. De plus, nos agriculteurs souffrent de ces nouvelles normes sanitaires, environnementales toujours plus exigeantes, coûteuses et contraignantes, alors même que – c’est un comble ! – les normes françaises sont nettement plus exigeantes que les normes européennes : toute nouvelle norme devrait être, entre autres conditions, expérimentée avant d’être généralisée et imposée.
Ne faut-il pas tout de même procéder à des regroupements de producteurs pour gagner en productivité ?
Nos agriculteurs sont de grands professionnels et sont déjà les plus productifs d’Europe avec une qualité sanitaire incomparable. Cela dit, en aval, le fait que des acteurs comme Intermarché et Leclerc investissent dans des abattoirs est une bonne chose.
Qui dirige le monde agricole aujourd’hui ? Xavier Beulin, Stéphane Le Foll, Phil Hogan, le commissaire européen à l’Agriculture, Michel-Édouard Leclerc et les dirigeants de la grande distribution ou le bonnet rouge agriculteur qui bloque les routes de Bretagne avec son tracteur ?
C’est au ministre de diriger, mais la FNSEA est beaucoup à la manœuvre et dans l’anticipation. Notre ministre Stéphane Le Foll fonctionne au slogan. On a besoin de contenu derrière les slogans ! Par exemple l’idée d’agro-écologie, c’est très bien, mais il ne faut pas confondre des bouts de solutions aussi intéressantes soient-elles avec une vraie politique globale qui mobilisera tout le monde agricole. La France est un grand pays agricole, elle a besoin d’un plan d’ensemble et d’une stratégie. Les petites initiatives, même à la mode, ne règleront pas les problèmes.
Voyez-vous dans le bio l’avenir de l’agriculture ?
La diversité caractérise l’agriculture en France et en fait sa force. Cela dit, on ne peut pas bâtir que sur du circuit court, de proximité et sur le bio. Ces filières représentent moins de 20 % de la consommation et ont même tendance à régresser à cause de la crise. Le bio, c’est un marché de cœur de ville. Et encore ! Dans des villes qui vont plutôt bien. On en parle beaucoup, mais c’est une expression souvent surdimensionnée par rapport à la réalité de consommation des Français.
La France entre dans une année pré-électorale. Que pensez-vous de la montée de Marine Le Pen ? Allez-vous jusqu’à condamner son programme et appeler les agriculteurs à ne pas voter Front National ?
Le vote Front national est une réalité dans les territoires où la désespérance sociale est à son comble. Nous avions fait intervenir à l’un de nos congrès nationaux le professeur Axel Kahn qui avait traversé la France à pied et en avait rapporté des témoignages poignants sur cette souffrance de nos agriculteurs qui se sentent abandonnés, oubliés.
Mais je dis clairement que le programme de Marine Le Pen serait une catastrophe pour notre agriculture qui est moderne, ouverte sur le monde et qui a besoin de l’Europe pour se développer. On ne réglera pas nos problèmes par le repli sur soi.
Et des autres candidats aux primaires et à la présidentielle, qu’attendez-vous ?
Une vision et une stratégie cohérente et ambitieuse. La FNSEA y travaille déjà et fera des propositions en interpellant le moment venu les candidats.
2017 c’est une autre élection, celle du président de la FNSEA. Serez-vous candidat ?
Je n’en sais rien. Le moment est à gérer les crises qui secouent mes collègues agriculteurs, la grippe aviaire d’un côté et la crise des filières d’élevage d’autre part.
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Que vous inspire le thème du prochain Salon de l’agriculture qui ouvre le 28 février : l’agriculture et l’alimentation citoyennes ?
Notre obligation économique de gérer les modes de production se double constamment d’une réflexion sur les manières de produire et de consommer. Chacun doit se poser la question du gaspillage et de la consommation responsables.
Prenons la question de l’emballage : quand la valeur du contenant, d’un yaourt par exemple, est supérieure à celle du contenu, quelque chose ne va plus. Il y a donc une coresponsabilité de tous, du producteur au consommateur. Et enfin, dans la chaîne de production, c’est essentiel, la valeur ajoutée devrait être répartie entre tous les maillons de manière plus équitable. Il n’est pas juste que le producteur soit toujours la variable d’ajustement.
Propos recueillis par Michel Taube