Opinion Sport
17H05 - mercredi 10 février 2016

Laurence Fischer, championne du monde de karaté : « Il faut aimer les gens »

 

Laurence Fischer a troqué, il y a dix ans, sa tenue de karatéka, pour celle de femme engagée.

Laurence Fischer fait une initiation karaté avec Franck Kwabe, enseignant, à la Maison Dorcas de Panzi (en RD Congo) où sont accueillies les femmes victimes de viols de guerre - Crédit photo : Équipe des Écoles de l'Espoir

Laurence Fischer fait une initiation karaté avec Franck Kwabe, enseignant, à la Maison Dorcas de Panzi (en RD Congo) où sont accueillies les femmes victimes de viols de guerre – Crédit photo : Équipe des Écoles de l’Espoir

 

Pourquoi avoir choisi le karaté ?

Je n’ai pas choisi. C’est mon père qui en était féru. Il m’a mise sur un tatami à six ans, j’en ai fait trois mois et j’ai dit no way ! Il a réessayé quand j’ai eu douze ans : je rentrais dans l’adolescence et j’étais introvertie, j’ai donc accepté. Dans une fratrie de trois enfants (deux frères et moi), c’était l’occasion de trouver ma place par rapport aux parents. On fait plaisir à papa, il y a une plus grande attention, c’était un moyen de m’exprimer car je ne parlais pas, j’étais de nature réservée. Je me confondais avec la tapisserie !

 

Quels sont les enseignements que vous avez tirés de votre pratique du karaté ?

Grâce au karaté, je suis convaincue du pouvoir du sport en terme de construction, d’expression de soi, de socialisation. On fait partie d’un groupe et il faut trouver sa place, il y a des règles qu’on apprend, qu’il faut respecter, il faut s’engager, c’est le combat : il faut y aller. On apprend à se connaître, à identifier ses points faibles et ses points forts. Tout ça donne confiance, c’est une conscience de soi, de son environnement. Cela irradie sur l’entourage. On a besoin des autres pour y arriver. On ne travaille pas seul face à un mur : il y a une équipe médicale, des partenaires d’entraînement. Il y a un échange avec les autres, même avec l’adversaire. Un combat dure deux minutes, une carrière c’est dix ans, on a un rapport au temps qui est différent des autres, il faut aimer les gens.

 

Pourquoi le théâtre ? Où est le lien avec votre sport ? Est-il encore à créer ?

Le théâtre était mon premier amour. J’ai fait l’Essec, j’étais manager chez Nike, j’avais déjà plus de trente ans, je me suis dit : « Il faut que je vive le théâtre ». Dans le théâtre, je suis dans la répétition, comme avec le karaté, mais cette fois mes outils sont les mots. Au karaté, on est dans des contraintes sur un tatami (temps, espace), régi par des règles, au théâtre c’est pareil. Dans les deux, si on n’est pas sincère, on ne touche pas.

Je suis à la croisée des chemins entre ce que j’ai capitalisé en tant que manager et tout ce que j’ai compris en théâtre, en entreprise, de mon engagement vis-à-vis des femmes. J’aimerais créer une structure qui accueillerait des sportifs, pour les former à la comédie avec des acteurs professionnels. Il y a des similitudes dans l’état d’esprit de performance. Cela peut être enrichissant pour un sportif de faire du théâtre même quand il est en pleine carrière, de la musique aussi. Je pense toujours à ce qui peut être pertinent pour les sportifs, en terme de transversalité, comme pour les salariés. Et je manie deux arts : martiaux et dramatiques.

 

Pourquoi ce besoin constant d’aller vers l’autre, et notamment vers les femmes ?

J’ai beaucoup d’admiration pour les femmes ; la première bio que j’ai lue est celle de Janis Joplin, Nina Simone a été l’une des premières à dénoncer la condition des femmes à travers des chansons. Je pense aussi à Marie Curie : la classe. Et à ma mère !

 

Quel est votre rôle au sein de l’association Les Écoles de l’espoir ?

Cela part d’une histoire d’amitié avec la directrice Marie-José Lallart, on s’est connues à l’Agence de l’éducation par le sport (on fait partie du conseil d’administration). Elle s’est rendue en mission d’observation à Bukavu, où les femmes ont subi de vrais traumatismes, et elle m’en a parlé. Je suis moi-même allée au Burundi. À Bujumbura, on a soutenu une association dont le but est d’informer au sujet des albinos car ils sont craints et rejetés par la population. Nous avons aussi accompagné des personnes malades. On est passés de camp en camp, les jeunes étaient contents qu’on leur fasse une initiation au karaté. C’est la magie du sport. Avec d’anciens sportifs comme Richard Dacoury, Stéphane Diagana, et Emmanuel Petit, on y est allés de bon cœur. On va essayer aussi de faire un travail avec les réfugiés, c’est modeste, mais on leur apporte une bouffée d’oxygène avec le sport.

 

Vous avez rencontré des personnes dans des pays en difficulté : sont-elles toujours surmotivées par rapport aux populations plus protégées ?

Les conditions sont différentes, mais il y a une similarité : l’attention extérieure. Tous sont conscients que la relation ne va pas durer, et ça met une intensité dans les échanges. À Bukavu, les Congolaises n’ont pas toutes surmonté le traumatisme. Elles restent pas mal en retrait. Les jeunes afghanes que j’ai rencontrées sont extrêmement preneuses, mais si leurs parents ne veulent pas, elles ne peuvent pas. Elles étaient complètement engagées, comme si elles apprenaient un métier. Et elles sont très reconnaissantes. Aujourd’hui, les meilleures par équipes sont les Égyptiennes, mais si les Afghanes avaient les moyens (financiers)…

 

Le karaté sera peut-être intégré en août prochain aux disciplines olympiques, pour les JO de Tokyo en 2020 : prendriez-vous cette nouvelle comme une vraie reconnaissance de votre sport ?

Ça fait des années qu’on y croit, et le fait qu’il s’agisse d’une discipline japonaise joue pour nous. Pour un sportif de haut niveau, être champion olympique, c’est le graal ! En terme d’universalité de la pratique et de nombre de pratiquants, on est très forts. Et même si je ne suis pas objective, c’est une très belle discipline. Et ça donne confiance en soi et en les gens.

 

S’il est intégré, postulerez-vous pour commenter les combats à la télé ?

Ça ne dépend pas de moi. Mais je commente pour L’Équipe 21, et j’adore ça.

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