Ils existent, j’en ai rencontré. Des citoyens, des vrais – il ne suffit pas d’en naître un –, qui se comportent en tant que tels. Responsables, généreux, solidaires, fraternels… Ici, là, même loin, ils sont tout proches, ces humains. Ils incarnent l’espoir d’un avenir épanoui et apaisé.
J’aimerais dédier ce papier – virtuel, oui je sais – à ceux qui n’y croient plus, pour qui le monde est foutu, et à ces rabat-joie, peut-être juste des sceptiques, qui accusent de tous les maux le Net et ses réseaux sociaux. À ceux pour qui l’immatériel est un obstacle au réel. Ceux qui méjugent les liens sans fils, développés derrière des écrans. À eux tous, je propose de tenter l’expérience, en toute ingénuité, de regarder la Toile comme un entrecroisement de routes. Un espace parallèle, dans lequel flâner, fureter, se fourvoyer dans des impasses, repérer des lieux et des gens – à mieux connaître, ou éviter, physiquement, ou pas – sans compter les idées. Pourquoi ne pas s’avouer, au-delà des dangers – nos rues n’en sont pas dépourvues non plus –, que cette toile rapproche, et même soulage un peu la solitude de certains ? Parce que ce n’est pas suffisant ? Sans doute, mais ce n’est pas rien.
Ces derniers temps, j’ai fait moi-même de belles rencontres sur le Net. Au hasard d’un surf étourdi, j’ai découvert deux projets qui m’ont remplie de fierté – fierté d’appartenir à cette humanité capable du meilleur, oublions pour une fois le pire – et de courage aussi. Et je me suis prise à rêver que d’autres, nombreux, surgiront.
Le premier est une boulangerie qui a ouvert ses portes il y a cinq ans à Montreuil. Une boulangerie pas comme les autres. L’initiative en revient à deux militants libertaires, entraînés par l’envie de mettre en œuvre leur utopie. L’un est alors boulanger, l’autre le deviendra. À la Conquête du pain, dont le nom fait hommage au livre de Pierre Kropotkine, il n’y a pas de chefs, les décisions sont prises en Assemblée générale, les profits répartis entre les partenaires et les salaires égaux. Il y a plus. Car au cœur du projet se trouve la volonté de rendre accessible à tous des produits de bonne qualité, en l’occurrence du Bio. Aussi, le collectif a prévu un « tarif de crise », sans justificatif, pour ceux qui ont moins de moyens, instauré le principe de la baguette en attente, des viennoiseries aussi, concept qu’ils revendiquent avoir « piqué » aux cafés. Et la « récup » le soir : les invendus de la journée, distribués aux démunis. Souhaitons-leur longue vie.
Le second projet, Pitch me, s’est déroulé presque tout seul, presque sans projet justement. Il s’est écrit pas à pas. Un pitch, c’est une histoire en quelques mots, histoire de mettre l’eau à la bouche. Dans celle de Mam et Karim s’entremêlent les plaisirs du livre et de la table. Il fallait y penser.
Il était une fois deux amis qui partagent un appartement. Mam Fedior et Karim Miské sont passionnés de cinéma et de littérature. Chacun écrit de son côté, le soir, ils se retrouvent autour de quelques bouteilles – « Maintenant, ça, c’est fini ! » –, se lisent l’un à l’autre, se donnent des idées, discutent. Ils s’étonnent à quel point ces échanges font fructifier leurs textes et imaginent un endroit qui permettrait à d’autres, auteurs aspirants, amateurs, de s’exposer et profiter des regards et remarques bienveillants d’un public. Pour aider les timides, ceux qui n’ont pas confiance en eux, à gagner en courage. Ils découvrent dans leur quartier, rue de la Fontaine-au-Roi, un petit restaurant qui « ne ressemble à rien », le Leupaleup, papillon en wolof, et proposent au patron d’organiser chez lui une soirée lecture par semaine. Le Work in Progress, ancêtre du Pitch me, est né. « Ça a tout de suite marché », constate Mam tranquillement. Aujourd’hui, ils occupent un local de 120 m2. La cuisine à l’honneur est d’inspiration africaine, surtout sénégalaise. Ils ont des habitués et, tout aussi important, l’endroit accueille des gens « qui n’en ont rien à cirer de la littérature, mais ils viennent quand même. C’est un lien qui va au-delà. C’est fraternel, à la cool ». Cette idée « utopique » a produit quelques résultats. Environ huit de ces auteurs complètement inconnus ont été publiés depuis les tout débuts.
Quel rapport avec Internet, me direz-vous à juste titre ? Lorsqu’ils ont dû déménager de leur local trop petit, les « Pitch me » ont payé leurs frais grâce à une campagne de financement participatif de la KissKissBankBank. Un coup de buzz sur le Net, et le tour était joué.
Tant qu’il y aura des hommes, il y aura de l’espoir.