Une crise politique intérieure secoue le Yémen et son voisin l’Arabie saoudite. Daech y joue un rôle minime pour l’heure. La vraie bataille, agrémentée de l’entrée en scène de l’aviation saoudienne, est entre Yéménites. La communauté internationale laisse la situation pourrir, mais force est de constater que les factions politiques yéménites ont beaucoup contribué à leur misère nationale.
On dit parfois que les peuples ne sont révélés au monde que lors d’une guerre, mais il semble que l’on se trompe : les Yéménites sont dans la guerre depuis presque trois ans et intéressent encore très peu. Autrefois, le Yémen était une sorte de pays souriant, avec un peuple tolérant, où les ravisseurs de touristes étaient de simples bandits gentlemen traitant humainement leurs captifs jusqu’au paiement de la rançon généralement raisonnable. Le pays était également connu pour son architecture traditionnelle d’immeubles à plusieurs étages et pour sa musique envoûtante. Tout cela est effacé par une guerre qui efface donc la pensée même du Yémen. La Syrie occupe nos esprits, l’Ukraine un peu aussi, mais le Yemen est de trop.
On a appris, le 17 février, qu’il n’y aurait plus de pourparlers. C’est ainsi que l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies au Yémen, à l’issue de contacts infructueux avec les parties, a tout ajourné faute de participants. Ismail Ould Cheikh Ahmed s’y connaît, depuis presque un an qu’il tente de faire tenir un cessez-le-feu mort-né. L’Onu tout entière est préoccupée par la guerre civile yéménite : les rapporteurs des droits de l’homme et ceux de l’aide humanitaire et des réfugiés — une foule de fonctionnaires internationaux bien intentionnés mais sans influence dans les diverses capitales du monde — dénoncent sans cesse la recrudescence des combats et la misère des habitants qui se transforment rapidement en réfugiés intérieur. À l’Onu on parle même de génocide, le mot terrible qui n’émeut pas tellement.
Le Yémen, comme la Syrie : fractures locales et confessionnelles
Le parallèle avec la Syrie est saisissant sur trois points : 1) une guerre entre chiites et sunnites ; 2) une guerre entre clans sans considération confessionnelle ; 3) une participation militaire étrangère puissante.
Sur le premier point : les chiites du Yémen sont des « zaydites », de cette branche bizarre du chiisme pas vraiment différente du sunnisme yéménite. On avait pour coutume au Yémen de prier aussi bien dans une mosquée que dans l’autre. Parmi les zaydites, il y a les adeptes d’un certain monsieur Houthi, bon vivant. Il veut renverser le clan au pouvoir qu’il considère injuste envers ces mêmes zaydites. Les houthis ont pris les armes en 2014 et conquis un tiers du pays, à partir de leurs bases dans le Nord.
Sur le deuxième point : les clans comptent autant que les confessions. Celui d’Ali Abdallah Saleh, président depuis trente ans mais évincé par un printemps arabe en 2011. L’automne survint presque aussitôt : le nouveau président, Abd Rabbo Mansour Hadi, cousin de Saleh, s’installe mais doit faire face en même temps aux mécontents pro-Saleh et aux houthis. C’est trop pour lui, il doit céder la capitale Sanaa et s’adjoindre l’aide de la monarchie saoudienne.
Sur le troisième point : Le président Hadi. La monarchie saoudienne est trop contente de contrer les houthis, chiites soutenus par l’Iran, ou du moins présumés tels. Le royaume d’Arabie saoudite fait la guerre elle-même, et directement, pour la première fois. La Royal Air Force est d’ailleurs gentiment venue conseiller l’aviation saoudienne. Des uniformes britanniques sont dans le centre de commandement saoudien, d’après ce que rapportent les grandes journaux britanniques et dont s’alarment quelques parlementaires. Les ventes de matériel et d’armement aérien britannique au royaume saoudien sont d’ailleurs impressionnantes, souligne entre autres The Guardian depuis décembre 2015.
Ne pas être manichéen : les camps sont fluides
Chaque tribu a choisi son camp, et les pro-Saleh souvent militaires se battent contre les frères militaires pro-Hadi, alors que les clans zaydites n’ont pas tous bougé. Les houthis ne persécutent pas les sunnites, mais les réfugiés se multiplient pour fuir la guerre. Les ONG — Human Rights Watch, Oxfam, Médecins Sans Frontières — et les services de l’Onu, bien présents, publient rapport sur rapport. En fait, ironiquement, les seuls étrangers vraiment présents là-bas sont ces pilotes saoudiens qui bombardent copieusement les positions houthies et particulièrement Aden. L’importance considérable des destructions a été signalée par plusieurs des nombreux représentants de l’Onu sur place, à Genève et à New York.
La crise n’est pas encore aussi meurtrière que celle de Syrie, mais le désastre humanitaire n’a pas encore atteint son paroxysme au Yémen. Au moins la France est-elle restée soigneusement à l’écart de ce conflit, comme dans une moindre mesure les États-Unis. Le royaume saoudien expérimente une intervention massive. C’est là sans doute l’une des grandes différences d’avec la Syrie !