Depuis des siècles, depuis toujours ?, une maladie insidieuse court et fait ses ravages tout autour de la terre, menaçant de briser filles, mères et compagnes. Les hommes s’y sont habitués. Les femmes, bien malgré elles, à chaque génération, apprennent à vivre avec, comme si elle était inhérente à leur condition d’humaine. Vivre avec la conscience de cette menace qui rôde, avec la peur de l’ennemi tapi peut-être en cet ami, ce père, ce frère, cet inconnu dans la rue…
En France, notre beau pays, des Lumières et des droits de l’homme, le viol fait dix victimes à l’heure. Mais comme elles n’en meurent pas. En tout cas pas toujours. Enfin, pas de manière directe… On prend acte et passe son chemin.
Je le sais. Tout le monde le sait. Les mentalités ne changent pas sur un claquement de doigt. Sauf qu’en la matière ces temps-ci on dirait plutôt qu’elles régressent.
Ainsi dois-je mon humeur, mauvaise, de cette semaine, à l’injustice rendue par la Cour de Versailles. Elle témoigne avec crudité de la grande solitude des femmes face aux violences de ces mâles impuissants à se contrôler.
Le cas d’Orelsan est connu, inutile de le ressasser. Il a plaidé sa cause sur tous les plateaux télé. Orelsan n’est pas un méchant. Il a dénoncé le viol, invoqué le second degré… Chacun a le droit de le croire. Mais là n’est pas la question. Celui qui donne la mort sans intention de la donner n’est pas pour autant innocent. C’est à l’appareil judiciaire de décider des sanctions et de fixer le cadre de ce qui est permis ou non.
La première cour saisie de l’affaire Orelsan, la 17e chambre du Tribunal de grande instance de Paris, avait condamné le rappeur pour « provocation à la violence à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur sexe » à 1 000 euros d’amende avec sursis ! et 1 euro « symbolique » à verser à chacune des associations constituées parties civiles. Pas grand-chose certes mais mieux que rien. Ce rien que la mal-nommée cour de justice de Versailles a osé en appel.
Elle a en effet hier relaxé Orelsan arguant que le rap est « par nature un mode d’expression brutal, provocateur, vulgaire, voire violent puisqu’il se veut le reflet d’une génération désabusée et révoltée ». Elle a statué que sanctionner de tels propos « reviendrait à censurer toute forme de création artistique inspirée du mal-être, du désarroi et du sentiment d’abandon d’une génération en violation du principe de la liberté d’expression ».
Cet argument est une insulte à toute une génération qui serait incapable d’exprimer son mal-être autrement qu’en termes orduriers. Et si cette phrase si bien tournée « J’vais la limer jusqu’à c’qu’elle soit couchée et qu’elle voie des clochettes » extraite d’un texte d’Orelsan appartient au « domaine de la création artistique » auquel fait référence la cour, il est aussi une injure à tous les créateurs.
Enfin, ces questions me taraudent : qu’ont fait les femmes en général et en particulier celles de cette même « génération désabusée et révoltée » pour mériter cette rage artistique ? Qu’en est-il de leur désarroi, de leur sentiment d’abandon ? Leur l’abandon par la justice…