À la suite des primaires de Caroline du Sud ce samedi 20 février, Jeb Bush humilié par un faible score se retira de la course. Favori il y a six mois encore, il a gagné moins de 10 % dans toutes les primaires. Son piètre score dans le sud, où il aurait dû frôler Donald Trump, montre que sa dynastie n’est plus en phase avec le climat délétère et populiste imposé par le milliardaire new-yorkais.
Le retrait de Jeb marque sans doute la fin politique d’une dynastie qui remonte aux années 1970 et même avant. Les Bush sont une famille de la Nouvelle-Angleterre et du Midwest, qui a essaimé vers le Texas dans les années 1950, à la poursuite d’une fortune dans le pétrole. Protestants épiscopaux (c’est-à-dire anglicans), leurs origines coloniales en font des Wasp (White Anglo-Saxon Protestants) pur jus. Le patriarche Prescott, élu sénateur du Connecticut de 1952 à 1963 (modéré, il critiqua ouvertement le maccarthysme), était surtout un banquier de Wall Street et un entrepreneur. Lui et ses fils plus tard, dont George W. Bush, ont fait leurs études à l’université de Yale et appartenu à la confrérie étudiante (parfois décriée comme sulfureuse et arrogante) Skull and Bones – tous sauf Jeb, qui étudia sagement dans une université au Texas. Il épousa une jeune mexicaine rencontrée lors d’un séjour humanitaire bénévole au Mexique. Hispanophone accompli, il finira par se convertir au catholicisme. En un mot, c’est le plus atypique des Bush.
C’est son père, George Herbert Walker Bush, qui monta un système politico-entrepreneurial aussi impressionnant que celui des Kennedy, et finit le premier à la Maison-Blanche. Une différence notoire cependant : les Bush mélangèrent sans retenue leurs projets pétroliers à leur carrière politique, au point de les confondre souvent. Le livre Family of secrets : the Bush Dynasty de Russ Baker, enquête journalistique poussée sur ce sujet, démontre par les faits ce que tous les Américains clairvoyants imaginaient intuitivement. N’oublions pas que George Herbert Walker Bush fut le directeur de la CIA pendant un court moment dans les années 1970, après avoir des années servi comme éminence grise à l’agence. Il se lia aux intérêts pétroliers saoudiens, mais Jeb, à la différence de W. n’était jamais très impliqué dans ces activités.
On peut dire de Jeb qu’il a fait fortune seul, dans l’immobilier en Floride ; que son père l’y a installé en politique et qu’il y a mené correctement sa barque jusqu’à en devenir gouverneur. Conservateur modéré, tourné vers le monde hispanique, il est donc aux antipodes de Donald Trump avec ses réflexions douteuses sur ces migrants mexicains « violeurs et dealers » et ces musulmans auxquels il faudrait interdire systématiquement l’entrée sur le territoire. La campagne républicaine a ainsi dérapé dans l’excès et la vulgarité, ce qui ne convint pas à Jeb. Pourtant, il avait derrière lui tout l’appareil de l’establishment républicain, avec ses personnalités et ses réseaux de financement. Tout cela aurait dû lui valoir la victoire selon les calculs classiques, mais ces calculs ne fonctionnent plus. L’époque est à la démagogie, et Jeb n’en a pas fait. On pourra regretter cet aspect-là de son retrait. En revanche, l’aspect continuité familiale du système politico-entrepreneurial des Bush ne manquera pas aux Américains.
Les Bush n’auront donc pas l’occasion de renouer avec le peuple américain et d’effacer le mauvais souvenir de la guerre d’Irak. Jeb sera-t-il pressenti comme vice-président, comme le fut son père en 1980 par un certain Ronald Reagan ? En tout cas, cela ne pourra pas être sur un ticket avec Trump : ce dernier a asséné trop d’insultes au plus sympa des Bush.