Lors de sa visite-éclair les 24 et 25 février derniers, François Hollande s’est composé un agenda alternant entre appui au gouvernement en place et rencontre avec l’opposition. Tout en affichant clairement sa préférence pour l’orientation prise par le nouveau président argentin, il a, en surface, tenté de se présenter en rassembleur d’un pays qui s’enfonce dans des divisions toujours plus profondes.
La fracture argentine
49 – 51. Les pourcentages de voix obtenues par les deux candidats en lice au second tour des présidentielles, le 22 novembre 2015, révélaient déjà l’existence de ce que les Argentins ont nommé la grieta, la fracture, au sein de la société. Le mal d’une collectivité soumise à une campagne électorale agressive, menée par les deux formations politiques dominantes du pays, à grand renfort d’organisations de la société civile et orchestrée par des médias fortement polarisés. Mauricio Macri, leader de l’alliance conservatrice néolibérale Cambiemos, remporterait finalement cette élection face au successeur désigné de la très populaire ancienne présidente, « Cristina », demeurée huit ans au pouvoir après le premier mandat de son défunt mari, Nestor Kirchner.
Depuis son accession au pouvoir, on ne peut pas dire que Mauricio Macri soit en bonne voie pour atteindre l’objectif qu’il s’est fixé lors de son discours d’investiture : rassembler les argentins. Trois mois d’exercice du pouvoir lui ont suffi à tendre encore le climat politique et même à monter une partie de ses propres électeurs contre lui. À l’opposition des nostalgiques du kirchnérisme, s’est ajouté le désaccord des autres avec les politiques dictées, en grande majorité sous forme de décrets, par l’hyper-président depuis son accession à la présidence du pays.
Par « refonte des structures de l’État », il fallait entendre épuration de milliers de fonctionnaires sous prétexte qu’ils avaient été nommés par la présidente précédente. Par « professionnalisation et indépendance des médias », comprendre plutôt chasse aux journalistes supposés liés ou juste favorables à l’ancien gouvernement. À cela s’ajoute un renforcement de la présence policière en ville et un durcissement de la répression dans les rassemblements monstres qui se multiplient dans tout le pays ces derniers mois. La tension est particulièrement montée après l’emprisonnement de Milagro Sala, fondatrice de l’organisation Tupac Amaru œuvrant dans les quartiers populaires du Nord de l’Argentine. Elle est érigée en martyre de la répression subie par les acteurs sociaux et soutenue notamment par le pape François qui a demandé publiquement sa libération.
Être diplomate avec les droits de l’homme
Soucieux de pas ternir son image aux yeux des chefs d’État étrangers qu’il a successivement rencontrés ces derniers mois – Matteo Renzi à Rome, François Hollande et bientôt Barack Obama à Buenos Aires –, le nouveau président argentin a développé une stratégie de communication efficace. Il a tout d’abord annoncé, le vendredi 15 janvier, qu’il reverserait intégralement son salaire présidentiel à une association offrant des repas aux plus démunis. Une décision humaniste, saluée par la plupart des médias internationaux, et cependant peu coûteuse pour l’une des plus grandes fortunes d’Argentine.
De plus, la veille de l’arrivée du président français, Mauricio Macri a accepté de recevoir les représentants des diverses organisations des droits de l’homme, dont les fameuses Grands-Mères de la place de Mai. Ces militantes, symboles de l’opposition à la dictature ayant sévi en Argentine de 1976 à 1983, proches de l’ancienne présidente, s’était vu retirer, le jeudi précédent, l’autorisation d’organiser la traditionnelle ronde en hommage aux victimes du terrorisme d’État. Or, en souvenir de la coopération des Français dans l’accueil des réfugiés politiques durant cette période sombre de l’histoire argentine, François Hollande avait souhaité placer sa visite sous le signe de la mémoire aux « disparus » de la dictature. C’est donc par nécessité que le président argentin a voulu se réconcilier avec Estela de Carlotto, la tête de file de l’organisation des Grands-Mères et amie intime de l’ancienne présidente, avant que le chef d’État français ne la rencontre lors de sa visite du parc de la Mémoire.
Quand le masque tombe
Au milieu du panorama politique mouvementé de l’Argentine, François Hollande a jonglé, tant bien que mal, entre les deux forces politiques ennemies. Tant bien que mal, car sa visite a été perçue par de nombreux Argentins comme une tentative de Macri de « vendre la patrie » aux pays développés. L’intention du président français de coopérer avec l’Argentine des milieux culturels par la signature de plusieurs accords n’est pas parvenue à masquer entièrement le volet économique de sa visite. Tout comme avec Cuba, il veut, bien entendu, être le premier sur le nouveau marché argentin. La présence en Argentine, après dix-huit ans d’absence, d’un chef d’État français, accompagné de plus d’une trentaine d’entrepreneurs, s’explique donc en partie par la réouverture des frontières, après trois mandats présidentiels orientés vers un protectionnisme soutenu.
En saluant un « changement nécessaire » vers une Argentine « plus ouverte, plus crédible » sur la scène internationale, François Hollande a soutenu en creux l’orientation libérale prise par Mauricio Macri et acté une nouvelle fois le virage à droite de sa propre action politique.
Le président français n’a pas non plus totalement échappé à ses casseroles qu’il traîne depuis la France. Bien qu’aucun espace n’ait été réservé à la presse pour l’interroger sur le climat politique tendu en France pendant son absence, certaines voix se sont élevées pour le lui rappeler et le panneau brandi, au moment de son allocution devant la communauté française en Argentine, résume en quelque sorte les critiques adressées à cette visite d’État : « Vive la France-Argentine… des peuples ! Égalité, fraternité OUI. Autoritarisme, État d’urgence NO GRACIAS. #JeSuisMilagroSala ».