Le 9 janvier 2007, Apple présente son iPhone. Ce jour-là, l’informatique domestique, privée et personnelle devient plus avancée et connectée que l’informatique dans l’« entreprise intra-muros ».
L’iPhone, et plus tard ses concurrents Androïd, avait ouvert l’accès à un nouvel univers, celui de l’ère numérique. La population des entreprises disposait désormais d’une capacité de connexion et d’un éventail de services qui n’étaient jusque-là disponibles que par le biais de postes de travail scientifiques hypersophistiqués.
Au-delà du monde du travail, les citoyens, des jeunes adolescents aux jeunes retraités, sont entrés ainsi de plain-pied dans un véritable Far West numérique où le premier arrivé planterait son drapeau et bénéficierait des droits du premier installé. Certains épisodes de la « Conquête du numérique » ne sont pas très éloignés du « Land Rush » de 1889 pour se saisir du territoire de l’Oklahoma.
Les entreprises et les administrations l’ont très vite compris : afin de garder le contact avec ce client ou citoyen connecté… à leur insu, il fallait qu’elles s’adaptent. Pour préserver leur attractivité auprès de cette nouvelle race de consommateurs connectés et assurer leur survie dans ce nouveau monde, elles devraient fournir des services, certes numériques, mais surtout pertinents. Cela a inauguré une période de transformations digitales où tous les secteurs confondus banques, assurances, petite ou grande distribution, industries, logistique, services, loisirs… ont lancé la refonte de leur organisation et leur système d’information.
Les premiers à prendre la vraie mesure des changements nécessaires ont été les directions du marketing, suivies des directions commerciales et opérationnelles. Dans un premier temps, des applications dites mobiles ont émergé, permettant à tout propriétaire de Smartphone ou tablette d’accéder aux services offerts de façon agréable et ergonomique. Très vite cependant, il s’est avéré que cette approche très « front-end » devait être accompagnée et soutenue par des actions « back-end » : il fallait aménager les systèmes d’information du back office en vue de construire, fournir et assurer la cohérence des services. D’où l’importance des grandes restructurations lancées par exemple autour des architectures SOA (Service Oriented Architecture) et MDM (Master Data Management).
Les architectures orientées services (SOA) augmentent la réactivité et les capacités de services des entreprises. L’organisation du travail ne se conçoit plus en silos, de façon cloisonnée, mais devient transverse, se rapprochant de cette manière des attentes du client à la recherche d’un service complet, harmonieux, consistant et rapide. Ainsi, les différents départements marketing, commercial, finance, administration des ventes, opérations, etc… ne disposeront plus de systèmes d’information dédiés, cloisonnés, mais permettant l’exécution de processus transversaux « extra-muros » pouvant s’initier pour la commande chez le client, par une application, arriver au commerce et se terminer à la facturation, en passant par les opérations avec quelques allers-retours vers les systèmes d’information de fournisseurs.
Les architectures MDM permettent la mise en cohérence des données manipulées dans toutes les interactions entre le client, les entreprises et administrations publiques. Dans le contexte d’une assurance ou d’une banque, par exemple, chaque client connecté doit disposer d’un espace privé sécurisé où il peut accéder à tous ses contrats ainsi qu’à toutes ses activités et mises à jour. En somme, il faut être en mesure de lui offrir ce qu’on appelle dans ce domaine « une vision 360° » de sa situation.
Vous l’aurez bien compris, la refonte du front end lors d’une transformation digitale n’est que la partie émergée de l’iceberg. La mise à niveau de façon maîtrisée du back end et son alignement sur la stratégie de l’entreprise sont aussi importants que la construction des voies de chemins de fer transcontinentales ou du Pacific Railroad Act en 1862.
Le franchissement de cette dernière marche nous fait accéder à une autre sphère : celle de la donnée et de sa gouvernance. En effet, le consommateur connecté devient un producteur hyperactif de données. Ses accès multiples et variés sont tracés, enregistrés, analysés et utilisés pour créer des services.
De nouveaux équilibres se construisent, sous-tendus par des philosophies différentes qui balancent entre approche anglo-saxonne ou américaine, avec l’exemple du Safe Harbor, et européenne, avec le leadership de la CNIL française.
Quel est le juste équilibre entre les droits de l’homme connecté, en cours de définition ou, plus encore, de négociation, et l’usage marchand des données qu’il produit ?
Déjà, de nouvelles architectures se déploient, dont les plus connues aujourd’hui sont les « data lakes ».
La maîtrise des architectures de ces « étangs ou lacs de données » hébergeant les données produites en masse (big data) constitue l’enjeu de demain.
L’ère post-transformation-digitale devra s’appuyer sur des règles de gouvernance de données (data governance) réfléchies, efficaces sur le plan technique et porteuses des valeurs de l’ère numérique à venir, comme celles qu’il avait fallu construire pour l’après-conquête de l’Ouest.
Omar SEGHROUCHNI
Associé fondateur de StragIS, spécialiste des architectures des systèmes d’information.