Par un protocole d’accord signé hier, 14 mars, à Cotonou, 24 des 33 candidats du premier tour de la présidentielle ont décidé d’apporter leur soutien à Patrice Talon, formalisant ainsi leur « Coalition de rupture ». Sébastien Ajavon, Abdoulaye Bio Tchané et Pascal Irénée Koupaki, qui ont totalisé au premier tour plus de 35 % des suffrages sont parmi ces soutiens. Les petits calculs faits, ils espèrent faire profiter Patrice Talon de leurs voix pour remporter le second tour.
Les membres de la coalition de la rupture tentent de se convaincre eux-mêmes que les votants du premier tour constituent une base électorale forte, alors que leur initiative ne s’appuie sur aucune structure. Quant à Pascal Irénée Koupaki, membre de cette coalition « de rupture », comment ne se sent-il pas mal à l’aise, lui qui, avant de tomber en disgrâce, a participé sept années durant, à différents postes, dont celui de Premier ministre, au gouvernement de Boni Yayi. À quel prix accepte-t-il aujourd’hui de se dédire et combattre ce qu’il a lui-même contribué à construire ?
Les divergences apparaissent
Après les photos et sourires d’usage en pareilles circonstances, Abdoulaye Bio Tchané a lu une déclaration. Ainsi les alliés ont-ils pris acte des engagements de leur nouveau champion. À noter que Patrice Talon, une fois élu, s’engage « à ne faire qu’un mandat en qualité de président de la République ». Interrogés sur l’instauration du mandat unique de sept ans annoncé par Patrice Talon dans son projet de société, certains membres de la coalition estiment qu’il s’agit d’une « option » qui sera certainement débattue. Plus tard ! Tout le monde n’est donc pas d’accord…
Par ailleurs, Patrice Talon, grand seigneur, s’engagerait expressément à renoncer aux quelque 140 milliards de Francs CFA de dommages et intérêts que l’État béninois a été condamné à lui verser dans la sulfureuse affaire du Programme de vérification des importations (PVI). Dépossédé par l’État d’un marché qu’il avait pourtant remporté après un appel d’offres international, il avait engagé – et gagné – contre l’État béninois une procédure auprès de la Cour commune de justice et d’arbitrage (Ccja) de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada).
Dans « les attendus » de la Coalition de la rupture, l’homme d’affaires s’engage par ailleurs « à ne poser aucun acte de vengeance personnelle tout en rendant effective et exemplaire la lutte contre l’impunité ». Remarquable exercice de style ! En clair : Boni Yayi et ses proches ne seront en rien poursuivis pour les scandales qui ont défrayé la chronique… Mais alors de quoi parle-t-on et où est la rupture ?
Dans ce jeu de renoncements, il faut voir des plans d’intérêts aussi compliqués que transparents. La fonction présidentielle n’étant pas éternelle, l’homme d’affaires doit continuer d’entretenir et faire fructifier ses entreprises pour assurer ses arrières. Soulignons au passage que Patrice Talon n’a pu réaliser ses grandes affaires que grâce à la bienveillance de Boni Yayi. Faut-il encore rappeler que les deux étaient amis, comme cul et chemise. L’un partant à la retraite, et désormais assuré qu’elle sera paisible, laisserait donc le champ pour des affaires encore plus juteuses. La privatisation, possible ligne de politique économique, risquerait alors de tourner en braderie de la souveraineté du Bénin. La décision du président sortant de changer finalement de braquet, en choisissant Lionel Zinsou, est donc certainement salutaire.
Quand le commerce s’invite à la table du politique il fait le lit de la corruption.
Didier Samson, L. Erick Sèko