International
19H13 - mercredi 16 mars 2016

De la bataille de la civilité à la bataille de civilisation : l’extravagante campagne américaine

 

 

À l’issue des primaires d’hier 15 mars, la campagne américaine devient bien plus qu’une compétition civique. L’enjeu didactique de cet exercice démocratique marquera sans doute un tournant dans l’histoire des États-Unis – cette nation restera-t-elle puissante car vertueuse ou vertueuse car puissante ?

John Kasich - Crédit photo : Thedispatch.com

John Kasich, vainqueur dans l’Ohio – Crédit photo : Thedispatch.com

 

On a sauvé les meubles, mais pour un moment seulement. Voilà ce que pensent les Républicains modérés, et les Démocrates pro-Clinton. En effet, John Kasich, ultime candidat Républicain de la mouvance modérée, a remporté haut la main l’État de l’Ohio dont il est gouverneur (équivalent de président du Conseil régional, aux pouvoirs très étendus). C’était le minimum vital pour que le Parti républicain puisse espérer se purger lui-même de Donald Trump – populiste identitaire autoritaire – et de Ted Cruz – évangéliste forcené qui commence tous ses rassemblements sur un « Dieu soit loué » fervent !

Avec l’Ohio entre les mains du modéré Kasich, une stratégie audacieuse se profile chez les Républicains du courant traditionnel : assurer le plus possible de victoires à Kasich afin de ravir à Trump la majorité absolue de délégués du parti, puis le confronter à la Convention d’investiture du parti fin juillet afin de le détrôner. Ce scénario n’a rien d’impossible même s’il est très acrobatique. Quand on pense que la survie d’un Parti républicain modéré, du conservatisme compassionnel, ne tient qu’à une lutte intestine, on entrevoit de quoi sera fait l’avenir : l’émergence d’un troisième grand parti, issu de la fracture des Républicains. Historique, et civilisationnel. Car Trump charrie avec lui les mêmes ingrédients que Jean-Marie Le Pen autrefois : le rejet virulent de la bonne conduite démocratique au profit d’une brutalité belliqueuse, maudissant ses adversaires présentés comme ennemis du peuple. Trump, milliardaire et star télévisuelle, serait une espèce d’hyper-Citizen Kane.

Les gens d’Hillary Clinton, eux, sont énervés par l’apparition de Bernie Sanders : il leur est assez proche pour leur ravir des voix, mais suffisamment anti-establishment pour reléguer leur championne dans le camp des politicards washingtoniens, ces adeptes du financement politique, sale quoique légal – Wall Street qui soutient la campagne d’Hillary, voilà un élément de campagne récurrent chez Bernie Sanders. 

Dans les rues du centre de Cincinnati où je me suis promené, difficile de trouver un seul républicain. Le choix entre Hillary et Bernie était pourtant dans toutes les consciences, et sur le terrain la civilité régnait : les deux camps démocrates se respectent, se parlent, et partagent les objectifs sinon les méthodes. La fracture chez les Démocrates sera bien moindre, et le parti sortira des élections générales avec deux ailes sans doute mais un seul corps. Il n’en ira pas ainsi des Républicains, dont de nombreux partisans éructent leur dégoût pour Trump avec autant de virulence que les Démocrates.

Peu importe la civilité, qui va bientôt disparaître : Trump y veille. Il se moque de ses adversaires, refuse de reconnaître qu’il y a des Américains musulmans patriotes, et bloque, voire expulse, de ses rassemblements, les journalistes qu’il n’aime pas – il affirme d’ailleurs « Je hais tellement les médias » ! Je n’ai moi-même pas pu obtenir d’accréditation pour l’un de ses rassemblements. Un reporter de NPR (la radio publique nationale) s’est vu interdire l’accès au meeting tout comme un journaliste saoudien (assez hippie d’allure) du journal étudiant local sur la seule base de son faciès ! À présent Trump refuse même de participer aux débats télévisés républicains, il est trop superbe et puissant…

Du manque de civilité démocratique à l’attaque contre la civilisation, la distance à franchir est courte, et les Américains devront freiner la course de Trump s’ils souhaitent rester le phare des démocraties mondiales.

 

 

Harold Hyman, envoyé spécial pour les primaires de l’Ohio.

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