International
18H27 - lundi 21 mars 2016

Notre série « Daech à l’assaut de l’Asie du Sud-Est » : l’Inde

 

 

En janvier 2016, Daech a publié un manifeste annonçant l’extension de ses activités « au-delà de l’Irak et de la Syrie ». En ligne de mire : l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh et l’Afghanistan – des pays aux importantes communautés musulmanes et où les organisations islamistes, nombreuses mais divisées, pourraient constituer la base d’une implantation en Asie du Sud.

La mosquée de Jama Masjid, Delhi - Crédit photo : Wikimedia Commons

La mosquée de Jama Masjid, Delhi – Crédit photo : Wikimedia Commons

 

Seulement vingt indiens auraient rejoint les rangs de l’État Islamique (EI) à l’heure actuelle. Parmi eux, six avaient treize ans lorsqu’ils sont partis à l’été 2015 – un seul d’entre eux combattrait aujourd’hui, les autres étant attachés à des tâches subalternes. À l’instar d’autres gouvernements de la région, tel le Bangladesh, l’Inde refuse de s’alarmer sur une éventuelle progression de Daech. Au contraire, « l’Inde ne se sent pas menacée, car les musulmans indiens, guidés par des valeurs indiennes, ont en grande partie rejeté l’organisation terroriste », a déclaré Rajnath Singh, ministre de l’Intérieur, lors d’une conférence sur le pouvoir de l’éducation. Les valeurs familiales présentées comme le plus sûr rempart contre l’extrémisme font donc de l’éducation un enjeu crucial. Conférences, ateliers de réflexions, déclarations se succèdent et mobilisent tant les instances laïques du gouvernement que le clergé musulman ou les organisations de la société civile. Les associations étudiantes musulmanes sont particulièrement actives et sollicitées : Atrocités de Daech : menace pour le monde ; Le Rôle et les Droits des imams dans la promotion de l’humanité et de l’établissement d’une société pacifique… Sensibiliser les jeunes indiens contre la propagande, rétablir le message originel du Coran sont devenus la priorité du clergé musulman. Car présenter aux croyants une alternative crédible au fanatisme, c’est également prévenir l’amalgame de la part du gouvernement pro-hindou, qui risquerait de trouver dans l’expansion de l’extrémisme un moyen bien opportun de décrédibiliser la communauté musulmane.

L’engagement fort et sans équivoque du clergé musulman

Malgré certaines difficultés à se faire entendre, dans un pays composé à 80 % d’Hindous, le clergé musulman souligne avec force la nécessité « d’une interprétation éclairée de l’islam ». Ses prises de positions ne présentent ni ambiguïtés ni concessions et se distinguent par la force de ses déclarations. La première rencontre des sunnites indiens, en novembre 2015, avait abouti à la publication d’une fatwa, affirmant : « Tuer des personnes sans aucune raison est contre l’humanité. [Le Coran] mentionne qu’Allah n’apprécie pas que la guerre soit menée sur la terre. » Lors d’une conférence sur le rôle des leaders religieux, Asghar Ali, imam, a souligné : « Nous croyons que les imams ont beaucoup fait pour la promotion de l’humanité et l’établissement d’une société pacifique dans le passé, et qu’ils peuvent même jouer un rôle encore plus important aujourd’hui ». Démêler le message coranique de sa manipulation mensongère est ce à quoi s’évertuent les représentants religieux. L’organisation nationale des imams a déclaré publiquement que justifier des assassinats en se réclamant du Coran est un blasphème, et qu’un tel discours de violence ne peut être rattaché à aucune foi. En réaffirmant les piliers du message coranique – pacifisme, justice, bien-être de l’humanité –, les imams rappellent combien les  extrémistes portent une vision de la religion vidée de son essence.

L’Inde, première communauté musulmane en 2050

L’urgence d’une telle éducation est réelle : les musulmans représentent aujourd’hui 14 % de la population indienne avec 170 millions de fidèles. Ainsi l’Inde devrait comporter en 2050 la communauté musulmane la plus importante au monde, avec plus de 310 millions de personnes. Cela n’a pas échappé à l’État Islamique : il a publié en janvier 2016 un manifeste annonçant l’extension de ses activités « au-delà de la Syrie et de l’Irak ». D’ores et déjà, l’Inde est vue comme un vivier de main d’œuvre, y compris « délocalisée ». Daech y recrute notamment des hackers, moyennant des rémunérations considérables pouvant aller jusqu’à 30 000 dollars (27 600 euros). Chargés de récupérer des informations gouvernementales, ils doivent également identifier des recrues potentielles en surveillant les réseaux sociaux et créant des bases de données. Enfin, ils auraient également la tâche de propager sur ces réseaux des messages idéologiques de l’organisation. Appliquant la même stratégie qu’ailleurs, l’EI assoit son emprise sur la division des populations. Une tâche aisée dans un pays où les affrontements communautaires se multiplient alors que le gouvernement pro-hindou n’a condamné que du bout des lèvres les dernières attaques islamophobes. Daech affirme que les musulmans sont en danger dans les pays où ils ne sont pas majoritaires, et que s’ils ne veulent pas subir une humiliation semblable à « l’Inquisition espagnole, où les musulmans ont été torturés à mort », ils doivent rejoindre les rangs de l’EI et commettre des attaques contre les Occidentaux.

Dans ce contexte, les attentats de Paris en novembre 2015 ont reçu un écho particulièrement douloureux, sept ans après ceux de Bombay en 2008 ; similarité des cibles, du processus d’attaques coordonnées, des prises d’otages suivies du combat des forces de l’ordre… Même retransmission, effarée et impuissante, d’une nuit blanche d’horreur qui allait durer plusieurs jours. Au sommet du G20 en novembre, le Premier ministre Modi a tenu à se montrer solidaire de la France, appelant à une stratégie globale qui couperait les financements, ressources et voies de communication dont l’État Islamique bénéficie. Le coût économique de la montée de ce terrorisme est également un argument de poids pour l’Inde, qui n’a pas hésité à le rappeler aux Brics. Narendra Modi sait que le seul engagement indien ne suffira pas, d’autant qu’il est lui-même une des cibles privilégiées de Daech : « Narendra Modi est un nationaliste hindou qui voue un culte aux armes et prépare son peuple à une future guerre contre les musulmans » clame l’EI, qui entend prouver son assertion en rappelant le lynchage d’un musulman au début de l’automne.

Une menace régionale et expansionniste

Une menace à prendre d’autant moins à la légère qu’elle s’inscrit dans un contexte régional où Daech pourrait rapidement s’étendre. Qualifiant dans un manifeste le Bangladesh de « nouveau champ de bataille », l’EI appelle à une « expansion stratégique dans le Bengale », ce qui implique donc également l’État indien du Bengale-Occidental. Même si le gouvernement bangladeshi, soucieux de minimiser l’impact de telles déclarations, a affirmé que l’État Islamique n’était aucunement implanté ou source de déstabilisation dans la région, ce dernier semble décidé à rallier à lui les groupes islamistes, très nombreux, qui y existent déjà.

Ces nouvelles déclarations de Daech sont venues compléter celle du 13 janvier 2015 révélée par le quotidien pakistanais, The News International : dans une vidéo, l’EI annonçait alors la création d’une « franchise » en Asie du Sud, dénommée État islamique au Khorasan (EIK). Partie intégrante du projet de restitution du Califat historique d’ici 2020, le Khorasan regrouperait l’Afghanistan, le Pakistan, les pays d’Asie centrale, ainsi que les zones franches orientales de l’Iran, et occidentales et centrales de l’Inde. Dans ces trois derniers pays,  le « prestige » international de l’EI lui a d’ores et déjà permis d’obtenir l’allégeance de groupes tels que le Tehrik-e-Khilafat et le Mouvement islamique d’Ouzbékistan (Pakistan), les Heroes of Islam Brigade in Khorasan, l’Al-Tawhid Brigade in Khorasan, le Parti islamique d’Afghanistan de Hekmatyar et l’Ansar al-Tawhid (Inde). Une allégeance qui n’en est encore qu’au stade embryonnaire, sa trop faible capacité militaire – tant en hommes qu’en stocks d’armes – l’empêchant d’organiser toute offensive de taille. Le recrutement et le renforcement de sa défense demeurent donc pour l’instant sa priorité, la multitude des mouvements djihadistes constituant à la fois un atout et un défi pour une organisation qui entend faire de l’actuelle hétérogénéité un seul « État ». L’affaiblissement simultané des trois principales forces djihadistes de la région, Al-Qaïda, la nébuleuse talibane afghane et celle présente au Pakistan, pourrait bien permettre un retournement d’allégeance vers l’EI qui doit néanmoins continuer à implanter son influence idéologique s’il veut définitivement supplanter Al-Qaïda.

Face à cette montée en puissance, la position des États-Unis et leur potentiel investissement demeurent la principale inconnue. En cas de croissance de la menace EIK, l’hypothèse d’une négociation de la Maison-Blanche avec Kaboul, en vue du renforcement de la présence militaire américaine, ne peut être totalement exclue.

Si pour l’heure l’expansion de Daech en Inde reste nettement moins rapide que celle survenue en Syrie ou en Irak, il faudrait veiller à apaiser les tensions entre hindous et musulmans qui risquent bien sinon de lui profiter.

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