L’Indonésie, plus grand pays musulman du monde, a été frappée pour la première fois par Daesh lors d’un attentat à Jakarta, sa capitale, le 14 janvier dernier. Le pays possède une longue histoire avec le terrorisme, fomenté par des groupes islamistes locaux, mais les changements géopolitiques mondiaux des dernières années et l’ascension de Daesh menacent l’Indonésie de devenir contre son gré la terre d’accueil d’un second califat.
L’Indonésie se savait fortement menacée. Les années 2000 ont été particulièrement douloureuses, avec de nombreux attentats sur le territoire national, le dernier ayant eu lieu à Jakarta en 2009. Cependant, les réseaux terroristes indonésiens ont désormais un soutien financier de poids : Daesh. Dans les mois précédant l’attaque de janvier dernier, plusieurs dizaines de partisans de Daesh ont été arrêtés et les autorités du pays ont déjoué un attentat d’envergure le soir de la Saint Sylvestre. Les attentats du 14 janvier semblant être l’œuvre d’amateurs pourraient, en réalité, n’être que l’œuvre du bas de la hiérarchie, épargné par ces arrestations et donc laisser présager le pire pour de futures attaques terroristes.
Pluralité et tolérance religieuse
La communauté musulmane en Indonésie est libre, ouverte et pratique un islam modéré, entremêlé de croyances locales. Effectivement, on recense au maximum 1000 citoyens indonésiens qui combattent ou qui ont combattu avec Daesh au Moyen-‐Orient, sur une population musulmane totale d’environ 220 millions de personnes, ce qui, à titre de comparaison, reste largement en-‐deçà des statistiques françaises.
L’embrigadement des combattants indonésiens s’effectue essentiellement en ligne, ce qui est très efficace, sachant que les réseaux sociaux sont particulièrement populaires en Indonésie, quatrième communauté sur Facebook du monde. A contrario, après les attentats du 14 janvier, les réseaux sociaux ont vu fleurir des millions de
#KamiTidakTakut (Nous n’avons pas peur), en réaction aux terribles événements et en guise de protestation contre Daesh et contre un islam ne correspondant pas aux valeurs des indonésiens, qu’ils soient musulmans ou pas.
Il existe toutefois un certain dysfonctionnement de l’Etat indonésien pour ce qui est de combattre les discours haineux, que ce soit sur internet, dans certaines mosquées et communautés musulmanes ou encore à l’école, à travers un enseignement religieux qui est obligatoire. De plus, depuis plusieurs années, la capitale Jakarta a accueilli de plus en plus de mosquées financées par l’Arabie Saoudite, prêchant un islam beaucoup plus orthodoxe voire ultra-‐orthodoxe.
Création d’un « califat éloigné » ou opportunisme des cellules terroristes locales ?
Même si un des objectifs de Daesh reste la mise en place d’un « califat éloigné » en Indonésie et plus largement en Asie du Sud-‐Est, ce qui met en exergue le pouvoir d’attraction dont jouit le groupe désormais globalisé, la mainmise de l’organisation sur la population indonésienne est relative, et demeure faible.
Il en est de même sur l’influence qu’a Daesh sur les cellules et réseaux terroristes locaux. Effectivement, les groupes terroristes en Indonésie ayant prêtés allégeance à Daesh existaient auparavant, existent aujourd’hui, et existeront très probablement dans un futur sans Daesh. L’organisation djihadiste permet à ces groupes et groupuscules islamistes, en se plaçant sous sa bannière désormais tristement célèbre, d’attirer l’attention des médias internationaux. Le système Daesh, en Indonésie, fonctionnerait comme une franchise. D’un côté, les terroristes locaux utilisent l’imagerie de Daesh, et de l’autre, Daesh n’en tirerait que des profits puisque des actions revendiquées en Asie du Sud-‐Est ne font qu’augmenter sa portée de frappe. L’organisation n’en deviendrait que plus menaçante partout dans le monde.
En revanche, cela ne veut pas dire que l’Indonésie ne va pas connaître d’autres attaques terroristes dans le futur. Tous ces groupements terroristes locaux prêtant allégeance à Daesh ne sont pas unis et luttent entre eux pour le pouvoir et pour établir leur suprématie, ce qui risque d’accélérer les attaques terroristes, chaque groupe voulant faire au moins aussi bien que son concurrent. Cette bataille d’influence parmi les cellules terroristes, dont aucune n’a été officiellement reconnue par Daesh, rend la situation d’autant plus complexe pour les autorités indonésiennes.
Modifier la loi sur le contre‐terrorisme
Après les attentats de janvier dernier, le président indonésien, Joko Widodo, a promis une réforme rapide de la loi sur le contre-‐terrorisme, jugée par la police et par beaucoup d’observateurs comme trop laxiste en l’état. La loi, telle qu’elle est actuellement, ne permet pas, par exemple de contrôler ou de punir les partisans de Daesh ou encore les citoyens indonésiens ayant pris part à des camps d’entraînement militaire à l’étranger.
Le nouveau projet de loi, qui devrait être soumis au Parlement dans les prochains mois, prévoit d’élargir la définition juridique du terrorisme et de rentre l’arrestation et la détention de suspects plus facile. Ainsi, il sera autorisé pour les autorités de détenir un suspect jusqu’à 90 jours sans représentant et de le placer en détention préventive jusqu’à 120 jours, contre une semaine actuellement. Les cibles des autorités vont être élargies, non plus uniquement aux terroristes eux-‐mêmes, mais également aux recruteurs. En ce qui concerne la nationalité indonésienne, elle sera retirée aux citoyens rejoignant une organisation djihadiste à l’étranger.
Ce projet de loi prévoit également une répartition des détenus condamnés pour terrorisme dans les prisons indonésiennes pour empêcher la propagation d’idées radicales chez les détenus d’un même établissement. Actuellement, les détenus sont, jusqu’à maintenant, libres de prêcher et n’ont guère de difficultés à se fournir téléphones portables et autres matériels connectés.
En revanche, l’une des grandes appréhensions déclenchée par une loi sur le contre-‐ terrorisme renforcée est la contrainte que pourrait exercer une telle loi sur les citoyens lambda et la possible privation de liberté dont chacun pourrait être victime.
Appréhensions qui sont légitimes dans un pays encore hanté par l’autoritarisme du général Suharto.
L’Indonésie n’en a donc pas fini avec le terrorisme fomenté par certains de ses citoyens, cependant, et contrairement à ce qui s’est passé au Moyen-‐Orient là où Daesh contrôle désormais des territoires, l’Etat indonésien est suffisamment puissant pour garder le contrôle de son territoire et ne pas voir naître un second califat. Toutefois, la surveillance des droits de l’homme en Indonésie reste aussi importante que la lutte contre le terrorisme et l’un de devrait pas éclipser l’autre.
Joffrey Lapilus