Si tous les habitants de la côte Pacifique du Tohoku ont souffert du tsunami qui, sur plus de 500 kilomètres de côte, a pénétré à l’intérieur des terres (jusqu’à 10 kilomètres), détruisant et noyant tout ce qui se trouvait sur son chemin, les personnes vivant dans la partie côtière de la préfecture de Fukushima, ont connu une « double peine », avec la catastrophe nucléaire.
Les services de polices japonais avaient le 2 avril 2011 établi le bilan provisoire à 27 368 morts ou disparus. Le 6 juin 2012, après comparaison des données, le bilan était ramené à 18 879 victimes (15 861 décès et 3 018 disparus). Parmi les corps anonymes qui demeurent encore dans les morgues, suite aux difficultés d’identification, se trouvent probablement certains des disparus.
La comptabilité était stricte car, en cas de lien certifié entre le décès et le tsunami, les familles recevaient des allocations, pour les frais d’obsèques, et une aide de 5 millions de yens (40 000 euros environ) lorsque le défunt était « soutien de famille ». C’est ainsi que pour les 13 municipalités de la préfecture de Fukushima, sur 748 cas signalés, seuls 573 (77 %) ont été certifiés.
Impacts sanitaires en lien avec les évacuations de population
Les 160 000 personnes évacuées par la préfecture de Fukushima (auxquelles s’ajoutent environ 50 000 « auto-évacués ») constituent seulement la moitié du total officiel des évacuations (340 000). Il s’agissait de protéger ces personnes des risques que représentaient les rejets radioactifs dans l’atmosphère des trois réacteurs accidentés. Mais cette évacuation, décidée par le Premier ministre, a été menée par à-coups. D’abord dans un rayon de 2 kilomètres autour de la centrale, puis 3, puis 10, puis 20, le tout en moins de 24 heures (du 11 mars 20 h 50 au 12 mars 18 h 25).
À la décharge du Premier ministre japonais Naoto Kan, et selon son récent témoignage publié dans Libération, les responsables de Tepco lui avaient affirmé le 11 mars, et jusqu’à 22 heures, qu’il y avait toujours de l’eau dans les cuves des réacteurs… alors que la sonde de mesure ne fonctionnait plus et qu’il n’y avait plus d’eau dans celle du réacteur numéro 1 depuis plusieurs heures.
En fait, l’examen des graphiques d’un rapport officiel de Tepco (« Reactor core status of Fukushima Daiichi nuclear power station unit 1 »), publié le 15 mai 2011, montre que vers 16 heures l’eau commençait à s’évaporer. À 18 heures les « têtes » de combustibles du réacteur numéro 1 commençaient à émerger. Vers 20 heures, le combustible était entièrement hors d’eau et la température atteignait environ 2 850 °C : celle de la fusion de l’oxyde d’uranium.
À 22 heures, le 11 mars 2011, 6 h 30 après l’arrivée du tsunami sur la centrale, non seulement il n’y avait plus d’eau dans la cuve, mais la température de fusion du cœur du réacteur numéro 1 avait été atteinte depuis 2 heures, avec une dégradation irréversible.
Comme le note David Boilley, docteur en physique nucléaire et président de l’Acro, Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest, les promoteurs de l’énergie nucléaire soulignent souvent que la catastrophe nucléaire de Fukushima « n’a tué personne », mais ils passent sous silence le fait que la majorité des évacués ont tout perdu, à cause des risques de rayonnements : lieu de vie, travail, lien social…
Les impacts sociaux et sanitaires, consécutifs à l’évacuation de ces populations, font encore l’objet d’évaluations. Les personnes les plus affectées sont les jeunes et les personnes âgées ou malades. Selon le rapport d’enquête parlementaire sur l’accident nucléaire au Japon, dans les sept hôpitaux et cliniques situés dans un rayon de 20 kilomètres autour de la centrale de Fukushima, il y avait 850 patients, dont 400 alités ou ayant besoin de soins réguliers.
Une étude, menée sur 328 personnes âgées, qui résidaient dans cinq maisons de retraite entièrement évacuées, a examiné la mortalité liée à ces évacuations. Le taux de mortalité y était 2,7 fois plus élevé après l’accident qu’avant.
En France, pour la chercheuse Reiko Hasegawa, (Medialab-Sciences-Po, Paris) ce sont 1 979 personnes, habitant les environs de Fukushima, qui seraient décédées ces cinq dernières années des suites de pathologies cardiaques ou neurologiques liées au stress ou de maladies aggravées par l’absence de soins.
Selon elle, les conséquences sociales pour les évacués de Fukushima ont été plus lourdes que celles des autres évacués. Un déséquilibre qui se lit notamment dans le nombre de décès indirects (dont des suicides), 1,5 fois plus élevé pour les évacués de l’accident nucléaire.
Ces données sont globalement confirmées par le bilan publié officiellement au Japon, avec 2 024 décès parmi les évacués. Cinq années après la catastrophe, le nombre de victimes indirectes est donc supérieur à celui des victimes directes du tsunami dans la préfecture de Fukushima (1 604). Le Bureau des statistiques japonaises précise également que, fin 2015, 80 évacués de la préfecture de Fukushima se sont suicidés.
Études épidémiologiques de suivi de la population au Japon
Dès la fin juin 2011, les autorités sanitaires japonaises ont conçu et mis en place quatre études épidémiologiques afin d’évaluer l’état de santé de la population de la préfecture de Fukushima. Elles concernent en particulier les évacués qui se trouvaient dans les zones les plus exposées aux retombées radioactives et deux populations à risque, les femmes et les enfants.
Pour les femmes, le suivi des anomalies génétiques et congénitales pouvant apparaître chez les enfants nés de femmes ayant déclaré une grossesse entre le 1er août 2010 et le 31 juillet 2011 concerne environ 20 000 femmes. Ces enfants seront suivis jusqu’à l’âge de 12 ans.
Côté enfants, un bilan thyroïdien est réalisé sur tous les enfants âgés de moins de 18 ans présents sur place pendant la période de rejets radioactifs dans l’atmosphère (367 685 enfants nés entre 2 avril 1992 et le 1er avril 2011) afin de mettre en évidence une éventuelle augmentation des cancers de la thyroïde.
Une enquête de base a aussi été menée sur les habitants de la préfecture de Fukushima (2 millions de personnes) afin de recueillir des informations permettant d’estimer la dose externe de radiations reçue et d’identifier ainsi les personnes nécessitant un suivi médical renforcé. Fin décembre 2015, 564 000 personnes parmi les 2 millions habitant la préfecture de Fukushima avaient répondu au questionnaire. Grâce à un logiciel spécialement développé par un Institut national Japonais (NIRS), il a ainsi été possible d’estimer les doses externes reçues au cours des quatre premiers mois après l’accident par plus de 547 000 personnes.
Une autre étude a été faite auprès des personnes évacuées (210 000) sur la base de bilans médicaux spécifiques. 214 000 personnes, évacuées dans les semaines après l’accident, sont conviées, depuis janvier 2012, une fois par an, à un bilan médical approfondi. La participation à cette étude a cependant fortement diminué, de 84 000 en 2012 à 54 000 en décembre 2015.
Les premiers résultats
La première campagne relative aux atteintes thyroïdiennes s’est déroulée du 1er avril 2011 au 1er avril 2014. D’autres, d’une durée de deux ans, suivront. Sur 300 376 enfants examinés de manière performante, 98 cancers thyroïdiens ont été confirmés (sur 99 opérés) et 14 autres sont suspectés.
L’incidence annuelle du cancer de la thyroïde chez les enfants âgés de moins de 18 ans est de 11 pour 100 000 dans la préfecture de Fukushima sur la période 2011-2014. Cette incidence est 15 fois supérieure à celle de la période 2003-2007 dans les registres de cancers de la thyroïde de huit autres préfectures japonaises (0,75 pour 100 000).
Mais pour les experts en épidémiologie, ces données ne peuvent être comparées, car une campagne systématique révèle plus de cas positifs qu’un registre des cancers. Le débat est ouvert et il ne pourra donc être conclu qu’après la conduite d’une campagne systématique, avec les mêmes moyens d’investigation, dans des préfectures non affectées par les rejets d’iodes radioactifs.
Les résultats, pour différentes tranches d’âge, permettent de dessiner des modifications des profils de santé (prise de poids, augmentation de la prévalence de l’hypertension artérielle, taux excessif de cholestérol ou de triglycérides, problèmes hépatiques, insuffisance rénale, etc.).
Avec le temps cependant, la tendance est à un mieux. Ce qui s’explique sans doute par l’amélioration des conditions de vie après la terrible dégradation des premiers mois de l’évacuation.