La seule juridiction civile de premier degré à ne pouvoir être saisie que par un avocat est le tribunal de grande instance (TGI). Les autres, y compris celles à juge unique siégeant au TGI, comme le juge aux affaires familiales ou le juge de l’exécution, peuvent l’être directement par le justiciable. Il en est donc ainsi du juge de proximité, du conseil de prud’hommes, des tribunaux d’instance, de commerce et des affaires de la sécurité sociale.
Est-il bien raisonnable de se défendre sans avocat ?
A priori, la réponse est non, pour plusieurs raisons : d’abord, la justice est un théâtre dont il faut connaître les usages. Ensuite, un avocat sait minimiser les faiblesses de votre dossier et valoriser ses atouts. Enfin, il ne vous sera guère aisé de préserver une nécessaire distance par rapport à votre propre contentieux.
Les pouvoirs publics semblent, sinon encourager, du moins faciliter, l’accès à la justice sans avocat, par le biais de sites d’information, comme legifrance.gouv.fr ou service-public.fr, et de formulaires Cerfa permettant de saisir une juridiction. Le résultat est loin d’être probant. Le justiciable a tendance à croire que le but est atteint lorsqu’il est parvenu à saisir la juridiction et que les parties sont convoquées à une audience. En réalité, cette démarche s’apparente à une formalité administrative, même si elle est un peu plus compliquée lorsque le tribunal doit être saisi par assignation. Il faudra alors s’adjoindre les services d’un huissier qui apportera la convocation à votre adversaire. On appelle cela la signification de l’assignation. Mais surtout, ce n’est pas le formulaire Cerfa, ni aucun autre modèle glané sur Internet ou ailleurs qui vous apportera les arguments permettant de gagner votre procès. Le juge ne vous croira pas sur paroles, ne sera pas votre avocat, ne vous aidera pas à faire valoir vos droits. Au contraire, sauf en certaines circonstances prévues par la loi, le juge est lié par les demandes qui lui sont faites. Vous pouvez ainsi perdre un procès que vous auriez gagné en avançant l’argument adéquat. Certes, il advient que le juge tende discrètement une perche au justiciable, surtout si son adversaire se défend également sans avocat (« vous pouvez me demandez de… »), mais il ne faut pas trop y compter. Pas du tout, même !
Il résulte de ce constat que les absents ont (presque) toujours tort, et que la politique de l’autruche conduit immanquablement à la déconvenue judiciaire. Ce constat conduit donc à relativiser la possibilité de se défendre sans avocat, même en étant juriste. En effet, le droit théorique repose sur différentes sources dont les principales sont la loi – même si la constitution et les traités internationaux lui sont supérieurs – et la jurisprudence. Or c’est principalement la jurisprudence des juridictions suprêmes (Cour de cassation, Conseil d’État) ou des Cours d’appel qui est publiée par les éditeurs spécialisés. Ces hautes juridictions n’ont pas toujours le pragmatisme d’un juge d’instance, d’un conseiller prud’homal ou d’un juge aux affaires familiales. Ce dernier, par exemple, n’est pas toujours très favorable à proroger des pensions alimentaires au bénéfice d’un parent ayant à sa charge un enfant majeur qui ne poursuit pas d’études, quand bien même le fondement légal de cette pension serait la nécessité et non la scolarité, comme l’a rappelé la Cour de cassation. Cet exemple peut être transposé à tous les domaines du droit et toutes les juridictions. Ni le formulaire Cerfa ni même la seule référence à la loi ou à la jurisprudence ne suffit à gagner le procès.
Puis-je être assisté ou représenté par une autre personne qu’un avocat ?
Notons que devant certaines juridictions, en particulier le juge de proximité et le tribunal d’instance, on peut être assisté ou représenté par une personne autre qu’un avocat, muni d’un pouvoir spécial (spécifique à cette audience, et non global). Il s’agit notamment du conjoint ou concubin, d’un parent, d’un allié (voir article 828 du code de procédure civile, pour le tribunal d’instance). Aux prud’hommes, il peut s’agir d’un représentant syndical, mais devant cette juridiction, la présence des parties est obligatoire : même un avocat ne fait que vous assister et non vous représenter.
180 dossiers en une matinée
Les justiciables les plus démunis peuvent recourir à l’aide juridictionnelle, en vue d’une prise en charge totale ou partielle des honoraires par l’État. Mais comme nous l’avions déjà vu dans un précédent article, on ne peut écarter le risque d’une défense à minima, l’avocat sous indemnisé étant souvent sous motivé.
Il advient qu’un justiciable légèrement au-dessus des plafonds de l’aide juridictionnelle renonce à faire valoir ses droits, ou soit paniqué devant une procédure diligentée par son adversaire, faute de moyens pour payer un avocat. Ce constat nous avait conduits, il y a quelques années, à imaginer un mécanisme original de coaching judiciaire, en coopération avec le cabinet d’avocats parisiens Buchinger & Rubin qui l’appliquait déjà de manière informelle : contrairement à une idée reçue, l’audience n’est pas la partie essentielle du procès civil, loin s’en faut.
Un juge d’instance m’avait indiqué avoir eu jusqu’à 180 dossiers en une matinée ! S’y ajoute le fait que l’affaire est ensuite mise en délibéré, ce vocable désignant le temps qui s’écoule entre l’audience et la décision judiciaire. Autant vous dire que le juge aura tout oublié de l’audience au moment où il rendra sa décision ! Ne lui resteront que les notes qu’il aura prises (plus ou moins selon les juges) et surtout votre dossier : les arguments de fait et de droit, et plus encore les pièces justificatives. Malgré l’aléa judiciaire qui découle de l’interprétation des lois, c’est votre dossier qui conditionnera l’issue de votre procès et non la plaidoirie ramenée à sa plus simple expression. Parfois, les juges pris par le temps demandent de ne pas plaider et de répondre à leurs questions. Au TGI, où l’avocat est obligatoire et les juges tenus par les seules écritures des parties, l’audience peut même être écartée, au bénéfice du dépôt des dossiers.
À ce constat s’en ajoute un autre : sur de nombreuses affaires, l’avocat passe plus de temps pour se rendre au tribunal, attendre que son affaire soit appelée et revenir à son cabinet, que sur le dossier de son client.
Le coaching judiciaire : partage des tâches entre l’avocat et son client
Fort de ce constat, les avocats susmentionnés ont élaboré un ingénieux mécanisme de « coaching judiciaire » permettant de partager le travail entre l’avocat et son client, le premier lui préparant son vrai dossier dans les règles de l’art ainsi qu’une note en vue de l’audience que le second viendra présenter à la barre du tribunal, en guise de plaidoirie. Cela permet de réduire considérablement le coût du procès sans hypothéquer ses chances. J’avais même vainement écrit à l’ancienne ministre de la Justice, Christiane Taubira, pour lui suggérer d’intégrer cette répartition des tâches à l’aide juridictionnelle. En effet, il vaut mieux pour le justiciable, pour les avocats et pour les finances publiques, que l’avocat soit payé dignement pour deux ou trois heures de travail sur dossier que sous indemnisé pour cinq ou six heures de temps perdu dans les transports en commun.
Rendre l’audience facultative
Une autre conclusion mérite d’être tirée de ces différents constats : puisque l’audience est souvent superfétatoire, autant la rendre facultative. Certes, l’oralité des débats doit être maintenue pour permettre à chacun d’accéder à la justice et d’exposer facilement ses positions (sauf au TGI ou la procédure est dite écrite). Mais dans tous les litiges techniques (par exemple : quelle est la cause des infiltrations dans mon appartement ?) ou lorsque les parties ont chacune un avocat, elles peuvent convenir de déposer leur dossier, sans plaidoirie. Cela rejoint la rationalisation et même la réhabilitation de l’aide juridictionnelle envisagées au paragraphe précédent et permettrait de désengorger significativement les audiences. Mais l’idée est sans doute bien trop simple pour intéresser les conseillers des ministres, conseillers d’État et autres énarques friands d’usines à gaz qu’ils sont seuls à comprendre (s’ils les comprennent). Nous sommes tout de même dans un pays où l’administration considère qu’un ballon est un « référentiel circulaire bondissant (sic) » !