Moins médiatique que le Paris-Dakar, le ‘rallye Aïcha des Gazelles’ du Maroc continue pourtant d’attirer de plus en plus de participantes, comme l’a prouvé l’édition 2016 qui s’est déroulée du 18 mars au 2 avril.
Entretien avec Dominique Serra, la DG et fondatrice du rallye, qui nous explique notamment les raisons du succès de cette épreuve réservée aux femmes.
Quel bilan tirez-vous de cette édition 2016 ?
C’est un très bon bilan, surtout dans les circonstances actuelles. On m’avait dit : « Vous n’avez pas peur au Maroc avec 320 femmes ? » Mais j’ai plus peur de vivre en France aujourd’hui. On y est moins en sécurité qu’au Maroc.
Sur le plan sportif, je suis ravie car les « gazelles » sont fortes et de plus en plus préparées. L’ambiance est au mélange des cultures : 14 nationalités étaient représentées. Une vingtaine de personnes travaillent à l’année sur le rallye avec pour moteurs la passion et l’envie du travail bien fait. J’ai mis 26 ans à faire de ce rallye un événement et ça n’a jamais été facile. Il est reconnu depuis seulement dix ans.
Pour quelles raisons selon vous ?
Le sport automobile est macho et exclusivement masculin. Je l’ai vécu, je peux en parler. J’ai vu bien des défiances et des sourires condescendants d’hommes face à cet événement qui n’a rien à voir avec les évènements automobiles habituels : la vitesse n’y joue aucun rôle. Pour beaucoup de journalistes sportifs hommes, il s’agissait d’une balade entre filles dans le désert ! Certains d’entre eux (surtout ceux de la « vieille école ») ont changé, mais pas tous, ils ont du mal à comprendre l’évènement avec le concept de navigation et de conduite tout terrain : pour eux la vitesse c’est tout…
Qu’est-ce qui fait la force de ce Rallye ?
L’engagement des femmes. Les femmes ne s’engagent pas à moitié : même si elles sont fatiguées, elles ont toujours le sourire. Elles sont tellement heureuses de participer à la course !
Quelle est la plus grande difficulté quand on organise ce type d’évènements, qui plus est à l’étranger ?
Le plus difficile reste de rassembler les fonds. Trouver des partenaires dans le monde auto, c’est compliqué. Il faut qu’ils comprennent l’évènement. Heureusement, certains sont fidèles depuis 18/20 ans. Donc oui il y a des difficultés, mais j’ai toujours reçu un accueil très positif, très ouvert, dès le départ. On m’a facilité la vie.
Quelle est la motivation première des participantes ?
L’accomplissement de soi. Elles vont au-delà d’elles-mêmes et reviennent avec beaucoup de force après la course. Elles changent de vision de la vie quand elles rentrent. 30 % des participantes, au retour, disent « Gazelles un jour, gazelles toujours ! » (Gazelle en marocain c’est la belle femme)
Quel rapport entretenez-vous avec les autres organisateurs de rallyes raids ?
Je n’en ai pas. Je ne suis pas du monde automobile, et je n’ai jamais voulu créer un évènement auto, mais un évènement à part. Je ne le regrette pas car, là encore, l’état d’esprit, la fonction, le besoin, le traitement des participantes ne sont pas les mêmes. On prend le temps (un an) pour accompagner nos participantes une par une. Nous sommes plus dans l’affect, c’est pour ça aussi que ça marche.
Le Rallye des Gazelles a-t-il selon vous meilleure réputation que le Dakar ?
Oui et non. On est différents, la sympathie est différente, toutes nos actions sont différentes. Je peux notamment citer notre association Cœur de Gazelles : 61 personnes travaillent sur le terrain pour aider les femmes et les enfants sur le plan dentaire, ophtalmologique, gynécologique et même social. Nous sommes aussi le seul rallye engagé sur le plan environnemental. On vient d’ailleurs de signer une convention avec le ministère de l’Environnement marocain. Nous avons pris l’engagement de tout réduire : on brûle et incinère nos déchets, on recycle 26 000 bouteilles d’eau pour créer un mur d’eau minérale, on amène des produits sans solvants… Notre concept ? Faire le moins de kilomètres pour gagner (Ndlr : les participantes doivent effectuer un parcours en pointant des contrôles de passage mis en place en un minimum de kilomètres et non de temps) ! On a une caravane environnementale où l’on éduque les enfants à l’environnement, on passe pour leur dire ce qui est important. On va même créer une catégorie véhicules hybrides, peut-être en 2017.
La course est-elle bien perçue au Maroc ?
Il y a de la fierté, de l’ouverture. Nous sommes même le seul événement à avoir le droit de porter les armoiries du royaume pour montrer que les femmes sont libres.
Pensez-vous que le rallye a encouragé les femmes marocaines à la pratique des sports mécaniques ?
Des équipages marocains existent déjà.
Avez-vous envisagé des évolutions, comme une délocalisation par exemple ?
Non. Le rallye Aïcha des Gazelles, c’est le Maroc !