Avec près de 3,6 millions de demandeurs d’emploi, toutes les idées pour faire baisser le chômage sont à tester. Dans un marché du travail qui se fragmente, les technologies permettaient-elles de faire mentir la prophétie, « Contre le chômage, tout a été essayé » ?
Si nous sommes immergés depuis plus de deux décennies dans le monde numérique, nous commençons à peine à découvrir l’incroyable potentiel de ce « nouvel or noir » nommé data (les données). Après l’ère du web et des applications mobiles est advenue celle du Big Data ; entendu comme la capacité à extraire et traiter une masse phénoménale d’informations grâce aux nouvelles générations d’algorithmes, eux-mêmes produits grâce à la puissance croissante des machines. Médecine, ville intelligente, émergences de tendances politiques, lutte contre le terrorisme… rien n’échappe à ces mégadonnées qui font émerger de nouvelles capacités d’analyse et permettent d’inventer des solutions inattendues face à des problèmes que l’on pensait insolubles, comme le chômage, depuis presque cinquante ans. Grâce au numérique et au Big Data, il pourrait être jugulé, et rêvons un peu, résolu.
Faire émerger un marché du travail qui s’ignore
Depuis quelques années, le marché du recrutement n’en finit pas d’être bousculé par le numérique. Les nombreux sites communautaires (LinkedIn, Keljob, Jobijoba, Leboncoin, etc.) obligent les acteurs traditionnels à se réinventer face à ces cyber-recruteurs. Avec le Big Data les techniques de recrutement changent, et apparaît également la capacité, grâce aux mathématiques, d’inverser la courbe du chômage. C’est tout le projet de Paul Duan, jeune entrepreneur de vingt-trois ans, originaire de Trappes et installé dans la Silicon Valley. Son idée ? Utiliser les algorithmes pour réduire le chômage en France.
À la tête de Bayes Impact, ONG à but non lucratif, il projette de résoudre le chômage par une plateforme web qui répond au nom de « my game plan », que l’on peut traduire par « mon plan d’attaque ». Il s’agit de guider de manière personnalisée le demandeur d’emploi dans ses démarches, en se basant sur les données du marché du travail (emplois vacants, informations sur les métiers d’avenir ou en tension, compétences requises, zones géographiques qui embauchent, etc.) ainsi que sur la base de données anonymisées de Pôle emploi. Via une interface intuitive et simple, la personne répond à une série de questions qui permet au logiciel d’analyser son profil, agréger un grand nombre de données en temps réel et enfin de lui proposer offres d’emplois ou propositions de formations, adaptées à ses compétences et à ses souhaits d’évolutions.
Encensée par les pouvoirs publics, la toute jeune organisation a signé un partenariat avec Pôle Emploi pour un déploiement de sa plateforme open-source d’ici la fin de cette année. Le recours au Big Data devrait permettre de changer d’échelle de travail en croisant un flot incessant de données et donc de fluidifier le marché du travail. Il suffit seulement de croire que la science des données prévaudra sur l’instinct.
Quel futur pour le travail ?
Se contenter d’observer que le marché du recrutement n’en finit pas d’être bousculé par le numérique, c’est oublier que cette tornade technologique secoue l’emploi, dans toutes ses dimensions. Pour son premier rapport consacré au « Futur des emplois », le Forum de Davos a mis en avant le chiffre de 5 millions d’emplois supprimés dans les 15 principales puissances économiques mondiales d’ici à 2020. À l’inverse, 2 millions de nouveaux emplois seraient créés en 5 ans ; essentiellement dans le sillage des nouvelles technologies. L’enjeu majeur de notre siècle sera, à n’en pas douter, l’adaptation des travailleurs à cette révolution numérique sous ses formes multiples : robotique, intelligence artificielle, machine learning (algorithmes capables de s’améliorer en continu sans intervention humaine)…
Au-delà de ces ruptures qui feront que, pour tel ou tel type d’emploi, l’on pourra se passer de travailleurs, parions que la tendance la plus profonde portera sur le changement de nature du travail lui-même. Pour un grand nombre de métiers, il est désormais possible de choisir ses lieux (n’importe où, y compris les nouveaux tiers lieux de coworking et autres fablabs qui éclosent dans les grandes villes), ses moments (n’importe quand) et ses relations (seul ou en communautés) de travail. On le voit, l’entreprise évolue, change et se fragmente en une multitude de travailleurs indépendants qui peuvent passer d’un emploi à un autre (« slashers ») et collaborer par le biais de plateformes numériques ; sorte de disruption généralisée du travail.
Reste que les États devront s’adapter à ce nouveau monde de l’emploi. Il faudra de plus en plus intégrer ces nouvelles technologies pour éviter que notre société ne ressemble au monde de Trepalium, nouvelle série d’Arte diffusée le 11 février, dans lequel 80 % de la population sont privés de toute activité professionnelle.
Philippe BOYER est l’auteur du livre, Ville connectée = vies transformées Notre prochaine utopie ? éditions Kawa, philippeboyer.strikingly.com Twitter : @Boyer_Ph