Jeudi 14 avril, le Parlement a voté la destitution du Premier ministre Arseni Iatseniouk, une destitution réclamée par de nombreux Ukrainiens depuis plusieurs mois et qui faisait l’objet de rumeurs tous les quatre matins.
Le Parlement a longuement applaudi, jeudi, le vote de l’éviction du chef du gouvernement. Et pour cause, la situation devenait intenable dans ce Parlement dont la coalition pro-européenne s’effritait jour après jour. Le 16 février dernier, les députés avaient déjà tenté un vote de confiance contre lui, mais y avaient échoué à cause de manœuvres politiques menées en coulisses par le président Poroshenko. Cette journée avait été qualifiée de « House of cards » par le député Serhiy Leshchenko tant la situation avait été montée de toutes pièces. La société ukrainienne avait peu goûté la plaisanterie.
Puis, il y a eu le procureur général, Viktor Shokin, que le Président a mis plus d’un an à démettre de ses fonctions et qui a disparu pendant plus de trois semaines, lorsque les médias ont annoncé sa démission, avant de réapparaître justifiant son absence par un arrêt de travail. Mais finalement, celui dont la peau était demandée par l’Europe et les USA, et qui est accusé de protéger la corruption, a bien quitté son poste.
Depuis quelques semaines, l’opinion publique ukrainienne, à la recherche d’une vision à long terme qu’elle peine à trouver, est en pleine transformation. La guerre semble sans fin : il est clair que Vladimir Poutine ne lâchera pas son influence sur l’Est du pays. L’échéance des accords de Minsk ne cesse d’être repoussée… à jamais ? L’Ukraine, consciente d’y perdre, s’efforce elle-même d’en ralentir le processus. Cette vision noire de l’avenir crée une frustration qui ne cesse de s’amplifier parmi les Ukrainiens. Particulièrement chez les militants de Maidan. Ils commencent à perdre courage face à un gouvernement qui réforme lentement, une corruption toujours aussi présente et à un conflit « gelé » qui n’ouvre aucune perspective. Certains rêvent déjà d’une nouvelle révolution qui s’attaquerait cette fois au Parlement et non au palais présidentiel. La démission du Premier ministre, dont la tête était réclamée par la population depuis plusieurs mois, est une marque de cet agacement.
Jusqu’ici, le président Poroshenko avait manœuvré assez habillement, utilisant les bonnes cartes au bon moment, pour garder son Premier ministre, s’assurer le versement des aides internationales et maintenir en vie la coalition parlementaire pro-européenne.
Mais avec le dernier scandale en date, dévoilé par les Panama papers, le Président a dû jouer sa dernière carte et se débarrasser de son Premier ministre. Dans les faits, Poroshenko n’aurait rien fait d’illégal dans cette affaire, tout juste manqué d’éthique. Mais dans l’opinion publique, un scandale présidentiel, liant le conflit (Petro Poroshenko aurait officialisé l’ouverture d’un compte offshore le jour d’une des plus meurtrières batailles de la guerre du Donbass) et les promesses de campagne (de se débarrasser de sa société Roshen), réclame une réponse proportionnée.
C’est donc dans ce contexte que, jeudi, Volodymyr Groisman a été nommé Premier ministre. Volodymyr Groisman, ce jeune homme politique à la carrière fulgurante, petit protégé du Président, a été maire de Vinytsia, la ville natale des deux hommes.
D’aucuns voient dans cette configuration la volonté de Poroshenko d’avoir une main plus forte sur le Parlement et la coalition. Sauf que cette configuration ne lui permet que de piocher une nouvelle carte afin de repousser la prochaine crise, apparemment inéluctable. Il s’agit de balayer la poussière sous le tapis qu’il faudra pourtant bien un jour soulever au risque de provoquer des élections anticipées.
Car d’une part la nouvelle coalition en cours de formation promet d’être faible, et, de l’autre, le pouvoir parlementaire appartient toujours aux groupes « invisibles » interpartis, représentant les gros oligarques, qui votent de façon indépendante. De plus, le nouveau Premier ministre bénéficie déjà d’une cote de popularité très faible.
Il y a aussi le fait que l’Ukraine s’apprête à traverser des moments difficiles. L’Union européenne, elle aussi un peu découragée par l’attitude ukrainienne, s’installe depuis quelque temps sur une position clairement destinée à annuler prochainement les sanctions contre la Russie. Ainsi, les partenaires européens et américains feront pression jusqu’au bout pour que les accords de Minsk soient appliqués malgré les réticences ukrainiennes.
Les Ukrainiens assistent actuellement à l’effondrement progressif de l’héritage Maidan, un effondrement qui paraît inévitable avec une corruption toujours reine, des oligarques au pouvoir gigantesque, et la réapparition dans la vie publique de méthodes et d’hommes politiques dignes de la période Ianoukovitch. Mais, à l’issue d’une révolution, la tendance est toujours à voir le verre à moitié vide. Car, malgré tout, Maidan n’aura pas laissé l’Ukraine inchangée. Les médias et la société civile critiquent plus librement leurs hommes politiques, les initiatives nées du mouvement populaire se multiplient, les discours évoluent. « Un » changement est en route, c’est certain, pour ce qui est « du » changement, comme toujours, il faudra sûrement attendre encore plusieurs années.
Paul Gogo (Kiev)