Chacun connaît cet instant singulier, « fenêtre d’opportunité » pour certains, « momentum » pour d’autres, cet instant où tout se joue et où le cours des choses peut s’accélérer ou s’inverser. Après trois ans de négociations, le TAFTA (Trans-Atlantic Free Trade Agreement) ou TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) traverse un épisode déterminant de sa courte vie. Avec l’ouverture du 13ème round de négociations à Washington la semaine du 25 au 29 avril, c’est une partie à haut risque qui débute.
D’une part, tout indique que le rapport de forces entre partisans et opposants au traité atteint en ce moment un point d’équilibre dont personne ne peut dire de quel côté il penchera à l’avenir. L’incertitude grandit à mesure que les opposants gagnent du terrain. Ainsi les Pays-Bas, qui se sont récemment et tristement illustrés en s’exprimant contre l’accord d’association Union européenne – Ukraine, sont en passe de recueillir suffisamment de signatures pour organiser également un référendum sur le TTIP. Plus surprenant, les responsables politiques américains se détachent de plus en plus nettement de la rhétorique libre-échangiste qui a prévalu ces trente dernières années, au point que certains analystes prédisent un tournant protectionniste à l’échelle mondiale. Les candidats à l’investiture démocrate et républicaine aux Etats-Unis ont tous affiché une position critique à l’égard du TTIP. Même Hillary Clinton, qui qualifiait à ses débuts le TTIP de nouvel « OTAN économique », a finalement choisi de prendre ses distances avec le bilan de Barack Obama. Elle s’est exprimée ouvertement contre l’accord trans-pacifique au motif qu’il n’atteignait pas un standard suffisant en termes de créations d’emplois de qualité pour les Américains, et a annoncé que tous les accords commerciaux devaient être analysés avec la même rigueur, ce qui laisse présager d’une future opposition au TTIP. En France, le secrétaire d’Etat en charge du commerce extérieur, Matthias Fekl, annonçait en septembre 2015 qu’il était prêt à envisager l’arrêt des négociations si la France n’y trouvait pas son compte. Une position reprise et validée par le Président de la République François Hollande le 14 avril dernier dans l’émission Dialogues citoyens, au cours de laquelle il a souligné que la France « peut toujours dire non » au traité.
Autre élément qui fera de ce printemps l’aurore ou le crépuscule de l’accord transatlantique : la nécessité de presser le pas avant l’élection présidentielle aux Etats-Unis, car le départ de Barack Obama risque bien de rebattre les cartes de ce jeu compliqué. Pour cela, administrations américaine et européenne cherchent à rapprocher le plus possible leurs positions avant l’été, et les rounds de négociation s’enchaînent à un rythme plus soutenu en ce début 2016. Le dernier en date, fin février à Bruxelles, s’est achevé sur une note d’optimisme appuyé, chaque partie réaffirmant sa volonté de parvenir à un accord avant la fin de l’année. Celui qui débute la semaine prochaine s’annonce crucial et se prépare au plus haut niveau. Ainsi la commissaire européenne en charge du commerce Cecilia Malmström et son homologue américain Michael Froman profiteront d’une rencontre prévue le 24 avril à Hanovre entre Barack Obama et Angela Merkel pour tenter de démêler quelques-uns des sujets les plus périlleux. Car à mesure que les négociations avancent, leur complexité augmente. La tradition veut que les points les plus problématiques soient laissés pour la fin, de sorte que chaque nouveau pas vers la conclusion de l’accord risque de lui faire prendre ce tournant qui peut lui être fatal. Parmi les sujets qui restent à trancher on trouve ainsi les baisses de droits de douane pour les produits agricoles les plus sensibles, le traitement des indications géographiques protégées, l’ouverture des marchés publics ou encore le futur mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats via les fameux tribunaux d’arbitrage.
Les négociateurs sauront-ils donner aux discussions l’élan nécessaire pour permettre une conclusion rapide de l’accord ? Le risque évident est celui d’un passage en force. Le TTIP n’y résisterait pas. Dans la course ouverte pour faire aboutir les discussions, les négociateurs devront savoir convaincre et rallier l’opinion publique, sans quoi ils ne franchiront pas la ligne d’arrivée.
Charlotte Dammane, auteur de Pourquoi Bruxelles brade l’Europe ? Décrypter l’accord transatlantique – Hikari Editions