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Fadia Otte, la paix n’a pas de prix

Bijoux et accessoires, royaume de la frivolité ? Certainement pas quand il s’agit de ceux de Fadia Otte. Déterminée par un parcours, que trop partagent avec elle – éclaboussé de sang et parsemé de deuils –, qui arrache au cœur l’innocence et mène à la détresse et la solitude, Fadia Otte aurait pu sombrer dans la haine de l’autre et se fermer à tous. Elle s’est ouverte au contraire au monde et à la lumière. Safe World Peace, cette ligne de bijoux symboles d’entente et de respect entre les religions, c’est elle qui l’a créée. Safe World Peace, c’est aussi un engagement entier, pas seulement financier, aux côtés de diverses initiatives humanitaires. Impossible pour cette femme de ne pas partager, surtout l’amour qui est en elle.

 

Entretien avec Fadia Otte, une femme qui grâce à ses bijoux contribue à un monde meilleur.

D’où vous vient ce besoin d’unir les religions, comme pour les marier, comme si elles ne faisaient qu’une ?

Ça vient de l’histoire de ma vie. Tout a commencé le 13 avril 1975, un dimanche après-midi, calme et paisible. Le Liban à l’époque était encore considéré comme la Suisse du Moyen-Orient. J’avais alors sept ans. Tout d’un coup, j’entends des gros boums. Comme je vois mes parents tranquilles, je ne suis pas effrayée. Et puis trois jours plus tard, je retourne à l’école. La seule chose qui m’intéresse est de savoir si mes copains ont entendu et vu la même chose que moi. Sauf qu’ils ne sont pas là. Je reste à les attendre après que la cloche a sonné et que la cour s’est vidée. Je sens bien qu’il se passe quelque chose de bizarre, mais je ne comprends pas quoi. Le proviseur arrive, me demande ce que je fais là au lieu d’aller en classe. Je lui explique que j’attends Fatima et David. Il me dit : « Fatima est musulmane. David est peut-être juif. Nous sommes en guerre. Ils ne viendront plus jamais dans cette école. »

Il m’avait appris trois mots, juif, musulman et guerre. Je ne savais même pas jusque-là que j’étais chrétienne. Puis notre vie est devenue une série de départs, d’exodes, d’une ville à l’autre. On était envahis un jour par les Syriens, l’autre par les Israéliens, et tout d’un coup moi qui suis issue d’une grande famille, je me suis sentie seule… Tout le monde, tous les autres étaient nos ennemis et voulaient nous tuer. L’isolement crée la peur qui excite l’imagination, c’est un cercle vicieux…

Enfin, en 1989, mon frère meurt sous une bombe. Je n’avais plus le choix qu’entre nourrir en moi ou l’agneau ou le loup. Et j’ai choisi l’agneau.

Comment expliquez-vous que vous ayez choisi l’agneau ?

Parce qu’il y avait eu trop de sang déjà et moi-même je n’avais plus envie que de tuer. Quand vous recevez chaque nuit 40 000 obus sur la tête que vous crachez du souffre et vous mouchez du noir, vous ne réfléchissez plus. Voilà.

Comment vous est venue l’idée de Safe World Peace ?

L’impulsion je l’ai eue le jour des attentats de Londres. En 2005. J’étais alors à Beyrouth. Mais il y a eu des rencontres avant et des prises de conscience qui m’ont mise sur la piste.

Après la mort de mon frère, mes parents m’avaient envoyée en France pour me mettre à l’abri. Un soir de 14 juillet – je venais de m’installer à Paris –, entre le bruit et les éclairs, j’ai confondu le feu d’artifice et les bombes. Par réflexe, j’ai pris ma couette et suis allée me réfugier dans l’escalier. Un homme est arrivé. Comme il s’est étonné de me voir là, comme ça, je lui ai expliqué qu’il ferait mieux aussi de rester avec moi. À cause des bombes. Alors il m’a demandé d’où je venais. Et quand j’ai répondu : « Beyrouth », il m’a dit venez avec moi, on fait shabbat. Je n’avais pas la moindre idée de ce qu’était shabbat, je l’ai suivi quand même. Ces Juifs étaient des gens formidables. C’était incroyable pour moi. À la même époque, quand j’ai appris qu’il y avait dans ma rue un épicier arabe, j’en ai été malade. Physiquement malade. J’étais sûre qu’il voudrait me tuer.

Avec le temps, j’ai compris. Et là, je me suis sentie trahie. Parce qu’on m’avait menti. D’ailleurs des années plus tard, j’ai épousé un Allemand et la marraine de notre fils est mon amie Ruth Levy, une Juive.

Et donc, cette idée de Safe World Peace, pourquoi l’avez-vous eue au moment de l’attentat à Londres ?

Parce que j’avais toujours pensé que la guerre et la haine étaient localisées. Qu’il s’agissait d’un conflit régional. Quand j’étais petite, j’avais rêvé de Londres, de Paris, parce que la paix y régnait. Avec l’attentat de Londres, j’ai compris que ce cancer s’était généralisé. Ça a été un dur réveil. Dans mon lit, j’ai dessiné la croix, l’étoile de David, le croissant, j’ai marqué Safe World Peace. Et c’est à ce moment aussi que j’ai décidé de verser 10 % de mon chiffre d’affaire dans l’éducation. Afin que mon histoire ne se reproduise pas, que les enfants ne soient plus séparés par la haine. Les enfants n’ont pas de religion, de couleur, ils naissent comme une feuille blanche. Après, les autres impriment des choses dessus. Je voulais dévouer ma vie à ce qu’on n’y imprime pas la haine et l’envie de tuer, mais l’union et le vivre-ensemble dans le respect des différences. Et ça ne veut pas dire renoncer à ce que l’on est. Au contraire, mieux on sait qui l’on est, plus on accepte les autres.

Mais pourquoi des bijoux ?

L’idée d’un bijou, c’était tout naturel, puisque j’étais joaillère. Et puis un bijou, c’est de l’amour. Il peut s’offrir à tout moment et fait toujours plaisir. Les miens sont déclinés en argent, en or, en diamant. Certains, avec le om hindou. Il y a aussi une collection comme ces plaques d’immatriculation des GI. Ces colliers que l’on rend aux parents quand leurs enfants sont morts. Mais là, cette collection Only for Smart People, elle veut dire qu’on ne meurt pas parce qu’on sait vivre ensemble. Ce sont des bijoux puissants. Ils sont une sorte de déclaration d’intention, ils affichent une grandeur d’âme, une générosité, et du coup ils attirent de la bonté sur la personne qui les portent. Sharon Stone m’a envoyé un mail pour me remercier. Elle m’a dit qu’elle l’avait toujours avec elle, au moins dans son sac.

Et les gens évoluent. Certains étaient complètement contre au début et maintenant ils veulent le porter à leur cou, l’arborer en quelque sorte. Le changement s’est effectué parce qu’il y a une terrible confusion. Parce qu’on utilise aujourd’hui l’islam pour tuer alors que ni l’islam ni aucune religion n’ordonne de tuer. La religion est amour et générosité.

Pour aller plus loin : safeworldpeace.com

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