D’ici la fin de l’année 2016, selon la loi Copé-Zimmermann pour la représentation équilibrée des hommes et des femmes au sein des conseils d’administration et de surveillance, 40 % des membres des conseils d’administration (CA) des grandes et moyennes entreprises devront être des femmes. Cette « contrainte » bien que bénéfique est un défi pour les dirigeants d’entreprises. Où et comment recruter en si peu de temps ces quelque 10 000 femmes ? Lucille Desjonquères explique dans un entretien pour Opinion Internationale que les femmes sont prêtes à prendre leurs responsabilités.
Chaque cause a son égérie. Lucille Desjonquères sera-t-elle la championne de cette révolution en marche qui devrait provoquer, enfin, l’éclatement du plafond de verre qui ralentit l’économie française ? Lucille Desjonquères occupe une place singulière : elle est une des seules décideures connectées directement à plus de 1 000 femmes candidates à ces fameux postes d’administrateurs : Lucille s’emploie à les aider avec le projet « Femmes au cœur des conseils » qu’elle pilote dans le cadre de son activité de directrice générale de Leyders Associates, cabinet de recrutement de « spécialistes, experts, cadres, dirigeants et administrateurs » d’entreprises.
Mais Lucille n’est pas qu’une chasseuse de têtes. Elle vient d’être élue à la présidence du chapitre français de l’International Women’s Forum, réseau mondial de 6 500 femmes d’influence dans 36 pays. Ce mandat, plus politique, devrait lui permettre de peser davantage dans les prochains mois sur la concrétisation de cette loi Copé- Zimmermann qui devrait féminiser la gouvernance de l’économie française.
Entretien avec Lucille Desjonquères
Plus que huit mois pour atteindre les objectifs fixés par la loi Coppé-Zimmermann : quel est le bilan actuel en la matière ?
Plutôt bon du côté des SBF (Sociétés de Bourse Française), qui arrivent à 36 -37 % de représentation, il l’est moins dans les entreprises non cotées qui représentent l’immense majorité des entreprises concernées par la loi.
Cette loi est un rendez-vous majeur de l’économie française pour 2016 et devrait mobiliser tous les acteurs de la gouvernance économique, privés et publics, puisqu’elle concerne aussi les grandes entreprises publiques (hôpitaux, universités, etc.).
La tendance est là mais sans mobilisation générale l’objectif ne sera pas atteint d’ici le 1er janvier 2017. Nous voulons réunir les conditions qui accélèreront le mouvement.
J’ajoute que les chiffres ne sont pas tout. Il est important de veiller à ce que les choses se mettent en place de manière intelligente et efficace. En effet, il ne faudrait pas que pour combler dans l’urgence l’écart entre la réalité et l’objectif, certaines entreprises installent à des postes des femmes qui n’en ont pas les compétences uniquement parce qu’elles sont des femmes. Cela aurait à terme l’effet inverse de celui escompté.
Car à l’heure du bilan, les hommes pourraient dire : vous voyez, on a mis des femmes et ça n’a pas marché. C’est là que nous intervenons avec le projet « Femmes au cœur des conseils ». Nous nous efforçons de faciliter la tâche des dirigeants d’entreprises, en leur présentant les femmes idéales. Mais il faudrait plus de projets comme le nôtre.
Vous semblez dire que les chefs d’entreprises ne savent pas qu’il existe des femmes compétentes pour administrer les entreprises et qu’elles sont disponibles. Comment est-ce possible ?
Les chefs d’entreprise ne les connaissent souvent pas car, pire encore que dans les CA, elles sont absentes des Comex (comités exécutifs), ces organes de direction exécutive des entreprises. Donc les PDG ne les côtoient guère au quotidien dans la gouvernance des entreprises. Ce sera un défi pour les années à venir de permettre aux femmes d’exercer plus de postes de direction opérationnelle au plus haut niveau.
Pensez-vous que la France aurait pu faire l’économie de cette loi, que la situation aurait pu évoluer par le simple dialogue social ?
Non. Il était important de légiférer. D’ailleurs, c’est ainsi que tous les quelques États qui ont avancé en la matière ont procédé jusqu’ici. En Norvège, la loi qui imposait un quota de 40 % est entrée en vigueur en 2003 mais elle ne concerne que les sociétés cotées. Ils étaient bien en avance. En Allemagne, le quota de 30 % est appliqué depuis le début de l’année 2016. En France, ce sera 40 %. C’est un bon chiffre à mon avis.
Les quotas sont le seul moyen efficace de faire bouger les lignes. Les femmes, qui étaient les premières à s’y opposer, pensant que la discrimination positive reste de la discrimination, ont fini par en approuver le principe.
Cela dit, il n’y a pas que la loi. On observe un mouvement en profondeur vers la mixité. Par exemple, les investisseurs qui regardent la gouvernance d’une entreprise avant d’y investir se montrent réticents désormais face à des équipes dirigeantes exclusivement masculines. Cela prouve que les mentalités évoluent.
Disons que la loi garantit que cette évolution de fond sera suivie d’effet dans un délai raisonnable.
Pourquoi certains sont-ils contre la mixité dans les conseils d’administration ?
Ils sont de moins en moins nombreux. La plupart des dirigeants sont favorables à la mixité. Évidemment, il y a des cas particuliers, des hommes qui réagissent par rapport à un vécu personnel, mais ils sont une minorité pour ne pas dire marginaux.
Comment est-il possible de convaincre des compétences des femmes ?
Les faits sont les plus convaincants. Les hommes sont étonnés de voir les CV qu’on leur présente. Et souvent, quand ils doivent en choisir un parmi quatre ou cinq, ils peinent à se décider. Ils n’imaginaient pas avant, comme nous le disions au début de l’entretien, que ce genre de femmes existaient parce qu’ils ne les rencontraient pas. Le fameux plafond de verre. Et ils ne les auraient sans doute jamais rencontrées s’ils n’y avaient pas été contraints par la loi justement. Convaincantes aussi, les études* menées sur le sujet. Elles ont prouvé, chiffres à l’appui, que la présence de femmes à des postes clés avait des conséquences positives sur le chiffre d’affaire. La mixité est nécessaire, utile et enrichissante, c’est un fait.
Y a-t-il assez de femmes, dotées des compétences nécessaires, pour ces 5 à 10 000 postes à pourvoir ? Et où donc les trouver ?
Elles sont là mais elles sont invisibles. Elles sont souvent leur première ennemie. Il y en a qui pourraient prétendre à ces postes mais l’ignorent, certaines le savent mais n’osent pas, et d’autres enfin osent mais sont victimes de stéréotypes et de leur fameux complexe de l’imposteur. Il faut donc faire une campagne d’information en direction des hommes ET des femmes.
On peut puiser dans un vivier de femmes qui occupent déjà des postes de direction, sans appartenir aux équipes opérationnelles des comités exécutifs. Ces femmes disposent de toutes les compétences mais n’ont jamais jusque-là eu accès aux niveaux supérieurs de la hiérarchie des entreprises.
Combien de postes reste-t-il à pourvoir d’ici la fin de l’année ?
Au niveau du SBF (Société des Bourses Françaises), c’est-à-dire des entreprises cotées, il reste 200 femmes à recruter pour arriver aux 40 % d’ici le 1er janvier 2017. Dans les 700 entreprises non cotées de plus de 50 millions de chiffre d’affaire, il en reste 1 500 à 2 000. Ensuite, il y a les entreprises cotées au chiffre d’affaire inférieur à 50 millions, le service public, les fédérations sportives, qui manquent cruellement de femmes… Il s’agit de 5 à 10 000 postes à pourvoir d’ici la fin de l’année. Et tous ont intérêt à atteindre les quotas, car les contrevenants seront lourdement sanctionnés.