En ce mois de juin 1987, nous étions 17 000 dans la trop grande salle de Paris Bercy, qui ne portait pas encore le nom d’une chaîne hôtelière, à être subjugués par ce petit bonhomme qui respirait la musique. Quelques 500 chanceux n’ont pas dû en revenir, lorsqu’après ce concert Prince a joué les prolongations jusqu’au petit matin au New Morning, célèbre club de jazz parisien.
On disait qu’il ne dormait jamais, que sa vie oscillait entre composition et interprétation, qu’il était un des plus grands génies créatifs de son temps, et peut-être davantage. À l’heure de la nécrologie, tout le monde, presse en tête, rivalise de superlatifs. « Le roi de la pop », entend-on à tour de une. Mais non, à cette époque, le roi de la pop, c’était Mickael Jackson, moins original, moins avant-gardiste, tout aussi déganté, mais d’une autre façon. Comme à l’époque des Beatles et des Stones, les médias avaient transformé une certaine rivalité naturelle en opposition frontale. Beatles contre Stones dans les 60’s. Mickael Jackson contre Prince dans les 80’s. Opposition factice, ou du moins largement exagérée pour vendre du papier. C’est de bonne guerre, paraît-il. Il y avait de la place pour tout le monde. Le classicisme de l’un, avec des tubes ciselés par Quincy Jones pour exploser les records de vente de disques, à l’époque où le format CD régnait en maître. « Thriller » est encore à ce jour l’album le plus vendu, loin, très loin devant les réalisations princières, « Purple Rain » compris. Mais en termes de créativité, d’innovation, de pur talent musical, Prince a été jusqu’à son dernier souffle une référence absolue. Il n’y a guère que Paul McCartney, autre génie parmi les génies, qui du haut de ses soixante-treize ans, ne cesse de composer et de jouer inlassablement, année après année.
Bien entendu, une telle frénésie n’engendre pas uniquement des œuvres majeures. Sauf pour les fans invétérés, il y a de l’excellent, mais aussi « seulement » du bon, dans la quarantaine d’albums studio que nous laisse le prince. Un peu comme les Stones, dans un autre genre, il n’y a rien de vraiment mauvais dans sa discographie. Trop doué, trop génial, pour la médiocrité. Certes, même si certains albums sont plutôt funk, d’autres plutôt pop-rock (mais très souvent dansants), on ne retrouve pas chez Prince l’extraordinaire diversité et versatilité d’un autre grand disparu de l’année, David Bowie, ou évidemment des Beatles. Prince, d’ailleurs grand fan des Beatles dont l’influence sur lui s’entend notamment dans l’album « Sign of the times », a su parfois conjuguer avant-gardisme et popularité, mais ceux qui ont eu le privilège de le voir et entendre sur scène ont surtout été éblouis par la facilité avec laquelle il abordait la chose musicale, passant d’un instrument à l’autre avant de retrouver sa guitare, véritable prolongement de son bras.
Oui, il respirait la musique et ne sera jamais remplacé. Mais les artistes, du moins ceux de cette dimension, ne meurent jamais. Quarante albums sont là pour nous le rappeler.