Ils ont un nom – Pepper, Romeo, Atti… – et sont dotés d’intelligence. Certains parlent, rendent des services et accueillent du public. Bien plus que de simples objets connectés, les nouvelles générations de robots androïdes vont devenir nos nouveaux compagnons. Sommes-nous prêts à vivre avec ces objets connectés qui nous ressembleront presqu’en tous points ?
L’expérience est singulière. Quand on serre la main de Pepper, le premier contact n’est pas désagréable. Sa « peau » est lisse, douce… un peu élastique. Sa petite corpulence retient de lui donner une franche poignée de main : trop peur de le déséquilibrer. Tout incite à prendre soin de ce robot qui ressemble à s’y méprendre à un enfant : son visage jovial, ses grands yeux bleus façon manga et sa voix fluette incitent ses interlocuteurs à faire preuve de bienveillance en lui parlant doucement et se mettant à son niveau. Pourtant, converser avec ce robot empathique, c’est oublier qu’il s’agit d’un objet connecté, qui nous ressemble physiquement, mais n’a en fait rien d’humain.
Au croisement de la mythologie, de la littérature fantastique et du cinéma, les robots n’en finissent pas de susciter doutes et interrogations alors qu’ils font déjà partie de notre quotidien sans même que nous le remarquions. Robots ou objets connectés nous entourent, s’adaptent à nous et orientent nos choix quelquefois à notre insu. Ultime étape : des robots dotés d’une apparence humaine capables, grâce à des programmes d’intelligence artificielle perfectionnée (deep learning), de déchiffrer nos émotions et… de nous manifester de l’affection.
Robot ou robio ?
Alors que les recherches dans ces domaines font partie des priorités des géants de l’Internet, nombre de scientifiques s’interrogent sur la place de l’homme au cœur de ces nouvelles technologies. Lors de la dernière édition du festival SXSW Interactive à Austin, les sujets de robotique grand public et d’intelligence artificielle ont été abordés sous l’angle non pas seulement technique mais également « human-centric ». A l’instar de Cynthia Breazeal, fondatrice de Jibo, startup qui fabrique des robots de compagnie capables de reconnaître et d’analyser les sentiments d’une personne, la question au centre des débats a été de savoir si « un robot compagnon est bien le futur meilleur ami de l’homme ? » La question n’est pas anodine du fait que les derniers développements en matière de robotique vont dans le sens du caractère anthropomorphe de ces machines. Outre qu’elles se caractérisent souvent par des attributs physiques identiques aux nôtres (tête, bras, mains, etc.), elles pourraient apprendre à nous comprendre et même en arriver à éprouver sentiments et émotions propres aux humains.
Certes, les recherches actuelles en intelligence artificielle ne sont pas encore au stade de comprendre toutes les subtilités du cerveau humain et sa formidable capacité d’apprentissage permanent mais la commercialisation de robots grand public, capables d’interagir avec les humains, est annoncée pour un futur relativement proche. Au mois de juin 2015, Masayoshi Son, patron de l’opérateur japonais Softbank, présenta le robot Pepper comme « le premier robot qui a du cœur ». Outre que ce slogan humaniste n’était sans doute pas dénué d’ambitions commerciales, de nombreuses études scientifiques se penchent désormais sur l’analyse des comportements humains face à ces futurs compagnons androïdes qui feront partie de notre quotidien dans les prochaines années. Les risques de cette cohabitation ne viendront peut-être pas des robots eux-mêmes (ces derniers, imaginés et programmés par des hommes) mais de nos réactions face à ces machines vues non seulement comme des objets mais comme des êtres uniques dotés de conscience et de personnalités singulières. Si pour l’heure les robots ne sont fabriqués qu’à partir de métal, plastique et composants électroniques, qu’en sera-t-il quand ils intégreront des composants biologiques sous la forme de matériaux protéiques et de cellules vivantes ? Comme le suggère Serge Tisseron, « Très vite, il sera question d’accorder à ces “robios” un statut de créature vivante ».
Dialoguer avec un « bot »
Si cette ère de la robotique humanoïde est encore à des années de recherches de pouvoir nous troubler au point de confondre un robot avec un être humain, il n’empêche que ces machines dotées d’une intelligence artificielle font déjà partie de notre quotidien. Moteurs de recherche, serveurs interactifs… autant de « robjets » interconnectés qui intègrent des fonctions spécifiques. Sous peu, l’avènement des « chatbot » (anglicisme contractant « chat » : conversation et « bot » : robot) pourrait bien préfigurer cette future relation homme-machine. Là encore, la nouveauté vient des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ; plus précisément de Facebook qui s’apprête à proposer à ses 800 millions de clients un nouveau service permettant, via la messagerie instantanée Facebook Messager, de commander une pizza, réserver un billet de train ou contacter sa banque par un dialogue avec une intelligence artificielle. Comme toujours, si les dimensions techniques de telles innovations sont complexes, l’ergonomie utilisateurs s’avère très simple ; ce qui ne manquera pas d’intéresser les entreprises désireuses d’installer ces « chatbot » sur leurs pages de réseaux sociaux afin d’interagir plus directement avec leurs clients.
« Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » s’interrogeait Lamartine. Près de 150 années plus tard, la technologie répond au poète : « Bonjour ! Je m’appelle Pepper et je suis votre ami. »
Philippe BOYER est l’auteur du livre, Ville connectée = vies transformées Notre prochaine utopie ? éditions Kawa