Un changement graduel du système de justice pénale est en cours au Mexique depuis 2008. Cette évolution va s’accélérer suite à la réforme constitutionnelle de 2008 (1). L’État mexicain se donne les moyens juridiques, techniques et humains, de rendre une justice plus rapide et efficace aux citoyens dans un pays qui fait face à d’importants problèmes d’insécurité, d’impunité et de surpopulation carcérale (60 % des prisons mexicaines sont contrôlées par le crime organisé, a estimé la Commission nationale des droits de l’homme – CNDH).Le chemin est long mais les progrès, significatifs, malgré un taux d’homicide qui reste élevé au niveau national, comme nous l’explique en exclusivité pour Opinion Internationale María de los Angeles Fromow (MAF), secrétaire de l’Organe technique pour la mise en place du nouveau système pénal accusatoire oral (Setec).
Comment le nouveau système pénal oral est-il apparu au Mexique ? Quel contexte a motivé cette transformation significative du système judiciaire du pays ?
Depuis des décennies, divers acteurs sociaux, politiques et académiques avaient signalé l’épuisement de notre système judiciaire mixte au niveau national. C’est dans ce contexte d’usure de la justice qu’est apparue la nécessité de repenser le modèle de justice pénale au Mexique.
C’est dans des villes emblématiques comme Ciudad Juárez, Chihuahua, que la société civile s’est fait entendre pour réclamer une nécessaire transformation du système de justice mexicain qui permette non seulement une plus grande garantie juridique, en fondant les enquêtes sur des bases scientifiques et donnant transparence et visibilité aux enquêtes en cours, mais aussi de penser la manière d’intégrer les citoyens et de les faire participer à l’évolution juridictionnelle du système.
Aussi pouvons-nous affirmer que le fait que les organisations sociales aient fait entendre leur voix, amplifiée par le soutien et la coopération internationaux, a eu des impacts à différents secteurs politiques clés aux niveaux de l’État et fédéral (national). Depuis ces secteurs de la politique, les premiers pas du processus ont consisté à imaginer une interprétation constitutionnelle pouvant soutenir l’échafaudage d’un système de procédure pénale accusatoire et contradictoire au Mexique, qui respecte les standards internationaux.
C’est dans ce contexte qu’ont travaillé différents universitaires mexicains émérites, avec l’assistance technique d’autres pays comme les États-Unis, le Costa Rica, la Colombie et le Chili. Toutes ces expériences ont été prises en compte pour voir comment rendre possible l’évolution et la transformation du système de justice pénale de notre pays. C’est là que d’autres États mexicains (comme Nuevo León et Oaxaca) se sont joints à ce grand défi. L’objectif et le mandat que se sont donnés les porteurs de projet à l’origine de cette réforme sont clairs : il s’agit d’apporter une solution aux demandes quotidiennes d’une justice claire, transparente et efficace. En effet, les procédures pénales duraient plusieurs années, parfois en méconnaissance du droit à un procès équitable, et les éléments de preuves manquaient de supports techniques ou scientifiques (souvent, la procédure reposant uniquement sur des aveux). De plus, la victime, non visible durant le processus, n’avait pas voix au chapitre, ne pouvait s’opposer à ce qui était dit ni apporter de nouvelles preuves. Tout dépendait du monopole détenu par le ministère public.
L’ensemble de ces conditions explique l’émergence dans notre pays d’une demande nationale de justice entre 2005 et 2008. Un réseau pour les procès oraux a été constitué par des organisations sociales. Commençant à écrire sur la nécessité de cette transformation les universitaires se sont intéressés à la série de résolutions des organismes internationaux recommandant, comme base pour le Mexique, d’entreprendre une réforme profonde du système pénal.
Il s’agit peut-être de l’une des réformes les plus importantes. Normalement, au Mexique les réformes partent du niveau fédéral (national), en tant que propositions des parties et/ou du gouvernement ou des groupes parlementaires au Congrès de l’union (assemblée), puis arrivent aux États. En l’occurrence, cela s’est passé de manière complètement différente : cette initiative citoyenne est devenue une loi qui a été portée depuis les États vers l’Union. Aujourd’hui, c’est dans le cadre local que l’on a les meilleurs résultats, qui sont pris en exemple pour impulser la réforme au niveau national.
Quelle est aujourd’hui la participation de la société civile ? Continue-t-elle à accompagner le processus, ou son travail s’est-il achevé quand l’État fédéral a reconnu et mis en marche la réforme nationale du système judiciaire pénal ?
Cette participation est encore très importante. Tous les ans, par exemple, s’organisent des forums de discussion pour voir comment on avance, de quoi on a besoin, identifier ce qui fonctionne, ou pas, de sorte que les citoyens continuent à participer à tout ce changement de paradigme social. La participation de la société civile est indispensable dans les étapes d’évaluation et de suivi, puisqu’il faut inciter les citoyens à observer le fonctionnement du nouveau système. La voix des citoyens est très utile pour identifier les questions qu’il nous reste encore à traiter afin de renforcer le système. Nous voulons que les citoyens soient de plus en plus informés du système pénal, plus actifs dans le suivi et dans son évaluation.
Cependant, nous sommes conscients que nous commençons tout juste au Mexique une transformation qui a pris des dizaines d’années dans d’autres pays. La citoyenneté joue un rôle essentiel dans le changement du Mexique, et nous voulons la stimuler pour qu’elle reste présente dans tout ce travail.
Quelles sont les caractéristiques du nouveau système pénal accusatoire contradictoire ?
Fondamentalement, il faut dire que ce système est plus transparent, puisqu’on sait exactement ce qui est en train de se produire. Tant la personne soupçonnée d’avoir commis le délit (l’inculpé) que la victime de l’acte délictuel ont la possibilité de suivre la procédure. Dans le nouveau système, il existe une assistance technique professionnelle, à travers un assistant technique juridique, qui accompagnera la victime – si elle le sollicite – à toutes les étapes du processus. De même, il y a un défenseur technique (agréé et professionnalisé dans ce nouveau système de justice pénale). Le juge peut rejeter le défenseur technique s’il ne lui reconnaît pas la capacité requise pour assister le client. Le ministère public du Mexique ne devra pas seulement rechercher les aveux de l’inculpé, il aura aussi un rôle d’enquêteur et devra construire un dossier.
D’autre part, on trouvera les figures du médiateur et du conciliateur, pour les délits mineurs qui n’ont pas d’impact sur la communauté. Dans ces cas, on fondera la réparation du dommage dans le fait que l’inculpé assumera sa responsabilité. Cela réduit la durée des procédures mais aussi, et c’est important, augmente l’effectivité de l’indemnisation du dommage qui est une autre des questions au centre de ce système.
De plus, le juge, auparavant assis derrière un bureau, est désormais présent et visible durant le processus, et peut ainsi le suivre en direct et connaître les deux parties. Il peut interroger et interpeller et disposer ainsi d’éléments d’analyse apportés durant le procès. C’est très important dans la connaissance du dossier pénal.
Nous sommes confiants dans le fait qu’avec le nouveau système une grande part des procédures pénales seront résolues plus rapidement grâce aux « phases précoces » (médiation, conciliation) et aux « solutions alternatives » (résolution de procédure) pour résoudre les processus pénaux mineurs. Ainsi, nous réserverons les jugements oraux, avec des éléments probatoires scientifiques, aux délits de grand impact social. On pourrait dire qu’un élément essentiel de ce système et de ses procédures est qu’il conduit au respect du droit à un procès équitable, au respect des droits humains de toutes les parties impliquées.
Tout ceci nous conduira, lentement mais sûrement, au désengorgement des maisons d’arrêt, à une meilleure réinsertion sociale, ce qui constituera un cercle vertueux pour la prévention, la conscientisation de ce qu’est la justice alternative, l’attention précoce aux délits et finalement la réinsertion des personnes qui retrouvent la liberté.
Ceci signifie que les universités mexicaines auront un rôle important, puisqu’elles doivent dès à présent former les techniciens et nouveaux professionnels de la justice.
En effet. Les universités du Mexique préparent les nouvelles générations dans cette perspective du nouveau système de justice pénale pour le pays. Nous ne parlons pas seulement d’avocats, mais aussi de psychologues, sociologues, ingénieurs, etc. Le système de justice pénale accusatoire requiert des compétences diverses et pas exclusivement légales. C’est pourquoi nous invitons les universités à proposer des programmes avec des formations transverses pour que d’autres professionnels participent aux nouvelles tâches qui apparaissent dans le cadre du nouveau système pénal.
À vous entendre, le paradigme de justice qui sous-tend l’idée du système pénal accusatoire et contradictoire est celui de la justice intégrale. Il ne se réduit pas à un simple processus d’application des peines, on assiste au contraire à un changement de paradigme de ce que l’on doit comprendre comme justice pénale dans un État comme le Mexique.
En effet, il s’agit d’un changement profond pour pouvoir garantir les droits humains à tous (tant victimes que suspects). Il nous faut générer la confiance entre les citoyens et les institutions de la justice du pays. Pour vous donner un exemple, les policiers auront un nouveau rôle. Ils devront être les premiers à répondre dans le cadre d’actes délictuels aux demandes des citoyens, c’est-à-dire qu’ils devront savoir quoi faire et quoi dire à la victime, toujours dans le respect des droits de l’accusé. Si nous y parvenons, et nous y parviendrons, cela génèrera une symbiose et une relation de confiance mutuelle entre les citoyens et les institutions qui appliquent la justice au Mexique.
Tous les types de délits seront-ils traités sous ce système pénal ?
Tous, les délits commis par les adultes et les mineurs, et même la justice militaire devra répondre aux exigences du nouveau système. 67 systèmes de justice pénale différents dans le pays sont en cours d’ajustement ou de transformation par le nouveau système de justice pénale accusatoire qui entrera en vigueur de manière définitive en juin 2016 sur tout le territoire du Mexique.
Le processus de changement du système pénal du Mexique a été entamé en 2008, et comme vous venez de le rappeler, il deviendra obligatoire pour les 32 états du Mexique à partir de juin 2016. À ce stade, quel est le bilan, quels sont les États qui sont déjà passés au nouveau système ?
Actuellement, sept Mexicains sur dix ont accès au système, en place dans les trente-deux entités, totalement dans sept d’entre elles, et partiellement dans vingt-cinq. De plus, toutes les entités ont adopté le Code national de procédure pénale, en vigueur déjà dans neuf entités. Ce modèle est une réalité dans 1933 municipalités et concernent ainsi 74,20 % de la population mexicaine, soit 89 789 000 habitants.
Dans combien de temps le système sera-t-il mis en place dans la totalité des États ?
Nous sommes engagés avec toutes les institutions du pays à tous les niveaux de gouvernement (municipal, d’état, fédéral) pour atteindre l’objectif fixé par notre constitution et que le nouveau système fonctionne avant le 18 juin 2016.
D’après l’expérience d’autres pays dans lesquels ce système judiciaire accusatoire a été implémenté, par exemple le Chili ou le Pérou, à combien évaluez-vous le temps qu’il faudra à la société mexicaine pour intégrer complètement cette nouvelle vision de la justice ?
Nous faisons déjà des efforts pour permettre la prise de conscience des citoyens. C’est en vérité un effort titanesque du pays qui compte plus de 100 millions d’habitants. De nombreux citoyens n’ont pas de contact direct avec la justice pénale, ils ont peut-être appris, par les médias, que ce processus était en marche. Ce que nous visons, donc, est d’atteindre cette population via Internet, la radio et des récits de succès, en montrant où le nouveau système a eu rapidement des résultats positifs pour éviter qu’un innocent ne soit inculpé ou un coupable, impuni.
Les médias jouent et continueront à jouer un rôle majeur dans ce processus de prise de conscience. Pour répondre à votre question, combien de temps cela prendra-t-il ? Je ne sais pas, chaque société, chaque coin du pays, est différent, nous l’avons vu et appris durant ce processus. Mais il s’agit de l’une de ces transformations que l’on ne peut comparer à aucun autre pays : nous parlons de millions de personnes, de 67 systèmes de justice pénale à transformer, de milliers de kilomètres de distance, et de particularismes (groupes vulnérables, communautés indigènes, équité de genre). Ce que je peux vous assurer, c’est que le point de départ sera le 18 juin 2016 : dans tout le pays, on appliquera la procédure pénal accusatoire et contradictoire et nous travaillerons pour garantir que le processus se consolide.
C’est un défi majeur, je n’ai pas pu trouver au niveau international un exemple similaire à celui que représente le Mexique avec ce changement vers un nouveau système judiciaire pénal.
Les citoyens mexicains (dans et en dehors du pays) trouveront des informations sur le nouveau système judiciaire pénal qui entrera en vigueur le 18 juin 2016 sur le site http://www.setec.gob.mx/swb/SETEC/ (renseignements techniques, vidéos, entretiens, actualités).
- Le système procédural pénal accusatoire prévu dans les articles 16, paragraphes deux et treize ; 17, paragraphes trois, quatre et six ; 19 ; 20 et 21, paragraphe 7, de la Constitution du Mexique, entrera en vigueur quand la législation secondaire correspondante l’établira, sans dépasser le délai de huit ans, compté à partir du jour suivant la publication de ce Décret.
Entretien réalisé par Angelica Montes