Soudée autour de son passé, la société israélienne répare au coup par coup des fractures plus ou moins profondes.
Quand rien ne bouge
Jeudi dernier, comme chaque année à la même date hébraïque, le 28 du mois de Nissan, le peuple d’Israël s’est immobilisé en souvenir des martyrs juifs de la Deuxième Guerre mondiale. Dans la rue, au bureau, à l’école ou à la maison, tous les Israéliens, hommes, femmes et enfants, se sont levés pour honorer la mémoire de ceux qui furent assassinés quelque part en Europe par des bourreaux issus d’une civilisation qui se vantait alors de faire partie des plus grandes. Sur les autoroutes, les voitures, camions et autobus se sont arrêtés en longues files, figées pendant une minute au son de la sirène d’alarme. Le devoir de mémoire.
Partout en Israël, les drapeaux sont en berne le jour de l’Holocauste, Yom HaShoah en hébreu, qui donne lieu à divers événements et célébrations dans de nombreuses institutions.
À Yad Vashem, le musée de l’Holocauste de Jérusalem, une gerbe a été déposée sur la place symbolique du Ghetto-de-Varsovie, après la sirène de 10 heures. Puis, au cours de la cérémonie « un nom derrière chaque personne », qui débutait à 11 heures, les noms des victimes ont été lus solennellement.
Cette occasion est propice à un examen de conscience. En effet, si se souvenir des morts est essentiel, prendre soin des vivants n’en est pas moins capital. Or le constat est clair, et le Premier ministre Benjamin Netanyahou l’a regretté personnellement mercredi soir au cours de la cérémonie d’ouverture des commémorations : « Israël n’a pas fait assez pour offrir aux rescapés de la Shoah de bonnes conditions de vie ».
Longtemps, dans ce pays en construction comme ailleurs dans le monde, la souffrance morale de ces hommes et femmes, qui ont vécu l’enfer, n’a pu être entendue. Mais il s’agit désormais de leur misère matérielle. Comment ne pas être choqué d’apprendre que 60 000 d’entre eux vivent aujourd’hui en Israël sous le seuil de pauvreté ? Les aides qui leur sont allouées ne suffisent à garantir des conditions de vie décentes. Le Premier ministre israélien a donc fait son mea culpa au nom de l’État d’Israël et promis d’augmenter son soutien à ces survivants.
Les ultra-orthodoxes dans la rue
La communauté ultra-orthodoxe fait corps pour résister aux lois qui ne lui conviennent pas. Jusqu’en 2013, de facto, ses membres étaient exemptés de service militaire même si en théorie il s’agissait seulement de sursis accordés pour qu’ils poursuivent leurs études en école talmudique. Un privilège exceptionnel dans ce pays où tout jeune homme âgé de dix-huit ans, physiquement et psychiquement apte, se doit de sacrifier trois années de sa vie (parfois sa vie) à la défense de son pays.
Les sujets de tension entre laïcs et religieux ne manquent pas en Israël. L’État a donc légiféré en juillet 2013 pour abolir, en grande partie, ce droit inique – le nombre des exemptés est désormais réduit et la plupart sont obligés d’effectuer un service civil. Satisfaisant les uns, cette mesure a fâché les autres. Et ces derniers ne sont pas prêts à se rendre sans résister. D’autant que les plus extrêmes, antisionistes déclarés, dénient à Israël sa légitimité d’État juif, car laïc. Certains chefs spirituels ont recommandé à « leurs » jeunes d’ignorer l’appel de l’armée, quitte à risquer la prison, comme le prévoit la loi en cas d’insoumission.
Ainsi, dimanche dernier, des centaines d’ultra-orthodoxes ont manifesté dans les rues de différentes villes du pays contre l’interpellation d’un des leurs qui s’était soustrait à son devoir militaire. Leur mouvement de contestation a donné lieu à des violences – un policier a été blessé – et mené à l’arrestation d’une trentaine d’entre eux.
Pourtant les faits sont étonnants. L’étudiant « religieux », dont il est question ici, a été arrêté au sortir d’une boîte de nuit où il s’était rendu avec quelques amis, pour avoir « perturbé l’ordre public ». Il n’était pas habillé selon les codes religieux. Et ce n’est qu’au commissariat, après vérification de son statut militaire, que son infraction à la loi a été constatée. Ce ne serait pas le premier à feindre la piété pour échapper à l’armée…
Un nouveau parti pour la paix
Alon Mizrahi est journaliste. Ancien partisan de la droite dure et nationaliste, il vient de fonder un nouveau mouvement politique, à tendance libérale, dont il espère ardemment qu’il se développera et arrivera au Parlement, pour faire souffler sur Israël un vent bénéfique de changement. Bead, le nom de ce futur parti, veut dire en hébreu « pour » mais aussi « à travers ». Alon Mizrahi insiste sur ces deux sens. Changer le prisme « à travers » lequel on regarde la réalité « pour » mieux construire l’avenir et la paix.
Lui qui des années durant s’est moqué de ces « gens de gauche » qu’on appelle les « colombes », souvent avec mépris, a eu la révélation de la réalité humaine du peuple palestinien au cours d’un festival de film. La vision d’une simple scène sur grand écran a bouleversé sa conception du monde et sa vie, à jamais.
Ont commencé pour lui des années de réflexion et d’examen de conscience. Après avoir revisité ses souvenirs de l’armée « à travers » ce nouveau prisme, et regardé autour de lui, il a réalisé qu’il se devait à lui-même de s’engager en politique.
Il est convaincu qu’Israël ne pourra exister conformément à ses principes et ses devoirs moraux qu’avec à son côté un État palestinien démocratique et souverain. Et il entend bien œuvrer pour.
Tout d’abord, il l’affirme, le peuple israélien devra revoir son histoire. Il en réfute la vision souvent édulcorée, parfois idéalisée. Il lui faudra aussi dédiaboliser son voisin et essayer de le comprendre. Il insiste sur le fait que selon lui son pays doit faire le premier pas, car la force est de son côté. Il a d’autres projets pour Israël qu’il chérit. Comme mettre fin, par exemple, à cette corruption qui ronge les institutions. Le peuple d’Israël est excédé de ces affaires. Il a besoin de leaders intègres et exemplaires, d’une nouvelle gouvernance.
Il est encore difficile d’évaluer son programme. Quant à ses résultats, on jugera sur pièce. On peut au moins saluer son envie de servir la paix et d’explorer de nouvelles voies, plutôt que de se résoudre à déclarer forfait et s’enfoncer dans l’impasse.