Le Sénat vient d’approuver le projet de loi pour une République numérique qui consacre l’ouverture des données publiques (open data). Ce texte confirme le fait que nous vivons à l’ère des données massives (big data). Si ces dernières favorisent le développement du numérique, elles nécessitent néanmoins un besoin de régulation innovante.
Les chiffres sont connus mais méritent d’être rappelés tellement ils dépassent l’entendement : chaque minute, 350 000 Tweets, 15 millions de SMS, 200 millions de mails sont diffusés, 300 heures de vidéos sont postées sur YouTube et des terra-octets d’informations sont archivés sur les serveurs de Facebook. Depuis 2010, l’humanité produit en deux jours autant d’informations que depuis l’invention de l’écriture il y a plus de 5 000 ans. D’ici à dix ans, quand les 100 milliards d’objets connectés feront partie de notre quotidien, cette masse de données, combinée à la puissance d’analyse des machines et aux algorithmes toujours plus perfectionnés, démultipliera cette nouvelle ère du big data interconnecté capable de croiser et d’analyser des milliards d’informations en temps réel et quasi gratuitement.
La donnée, « or noir » du xxie siècle
La donnée, nous répète-t-on à l’envi, sera le pétrole du xxie siècle. Avec ce flot ininterrompu d’informations de toutes sortes pouvant servir les finalités les plus diverses, depuis le traitement des épidémies, la prise en charge des catastrophes naturelles, la maintenance des bâtiments, la gestion des primes d’assurance, la lutte contre le crime jusqu’au séquençage du génome humain en passant par la circulation routière, la voiture autopilotée, la lutte contre le chômage, le suivi à domicile des malades, des personnes âgées dépendantes, la publicité ciblée ou l’évaluation de l’efficacité des thèmes retenus par l’équipe d’un candidat dans une campagne électorale… le big data bouleverse nos sociétés et nos façons de vivre ensemble. Pour faire simple, le big data se caractérise par une série de 4 « V » : Volume, Vitesse, Variété, Valeur. Volume, nous avons rappelé l’ampleur des données quantitatives. Vitesse, il s’agit d’analyser en temps réel ce flot ininterrompu d’informations. Variété, car il s’agit aussi bien de photos, de contenus multimédias, de musiques, de localisations géographiques, de chiffres, etc. Et enfin Valeur, parce que ces données massives portent en elles toutes nos habitudes de vie, et de consommation, et sont à ce titre un gisement inépuisable de matière première pouvant devenir des armes de ciblage commercial au service des marchands.
Si la donnée vaut de l’or, à qui revient le trésor ?
Passé ce constat sur la place croissante des data, figurent les évidentes questions éthiques et de régulation quand on sait que ce marché est estimé à près de 50 milliards de dollars en 2019, soutenu par une croissance annuelle moyenne de 23 % entre 2014 et 2019. Au cœur de ces enjeux, deux points focalisent toutes les attentions : l’utilisation et à la propriété de ces data.
Sur le premier point, le risque réside dans le fait que quelques entreprises du numérique, notamment les Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple), imposent leurs normes et leurs usages compte tenu de leur poids croissant dans nos vies numériques. Face à cela, difficile de lutter sauf à créer un nouveau droit qui pourrait prendre la forme d’un « code des données et du respect de la personne » ou mieux encore, un Digital Bill of Rights tel que le propose le prospectiviste Jeremy Rifkin. Sur ce sujet, la loi pour une République numérique avance quelques propositions dont celles des règles pour une meilleure information des consommateurs sur les avis en ligne ou encore l’extension des missions de la CNIL pour améliorer l’exercice des droits individuels.
Sur le sujet sensible de la propriété des data, la future loi consacre le « droit à la libre disposition de ses données personnelles » en tant que principe fondateur pour la protection des droits des citoyens en ligne. Cette disposition sera-t-elle suffisante pour régler la question de la propriété des données personnelles ? Rien n’en est moins sûr compte tenu que le business model d’Internet repose en grande partie sur l’exploitation des données personnelles qu’il est aujourd’hui possible de capter et d’utiliser en toute impunité, ou presque. À l’inverse, le jour où nous serons pleinement propriétaires de nos données, où nous pourrons décider, en conscience, d’en faire l’usage qui nous convient – les céder gratuitement ou non, les conserver de manière temporaire ou définitive… – chacun sera en mesure de définir ses propres termes contractuels et, partant, d’avoir véritablement voix au chapitre.
Si nous sommes encore éloignés de cet idéal de « patrimonialité de nos données », reconnaissons à cette future loi pour une République numérique le mérite de faire rentrer la France dans son époque. Cette dernière, déjà marquée, qu’on le veuille ou non, par le règne omniprésent du big data. Intelligemment régulées, faisons le pari que ces mégadonnées créeront les nouvelles frontières de l’innovation. Bref, que l’aventure numérique dont nous sommes à la fois les témoins et acteurs n’en restera pas moins une aventure citoyenne et humaine.
Philippe BOYER est l’auteur du livre, Ville connectée = vies transformées – Notre prochaine utopie ? éditions Kawa