L’Argentine a un lourd passé en matière de droits de l’homme. Aussi chaque risque de dérive dans ce domaine inquiète, et aujourd’hui certains s’alarment de la possible nomination d’un homme du pouvoir argentin à la tête d’un organisme soutenu par l’Unesco, le Centre internationale pour la promotion des droits de l’homme à Buenos Aires.
Le 13 février 2010, le CIPDH, fondé sous l’égide de l’Unesco, ouvrait ses portes à Buenos Aires dans l’enceinte de l’Esma, École navale de génie mécanique, célèbre pour son histoire noire : elle a servi au temps de la dictature militaire (1976-1983) de prison clandestine. Selon les organisations de défense des droits de l’homme, 5 000 personnes y ont été détenues, torturées, et 90 % d’entre elles y seraient mortes assassinées. Le choix de ce lieu pour siège du Centre de promotion des droits de l’homme marquait donc nettement la volonté de l’État de rompre avec ce passé : « Ainsi, ce lieu lié à l’horreur et la mort se transformera en un lieu de vie et de lumière », peut-on lire dans sa présentation sur le site de l’Unesco.
Déjà en 2004, l’État argentin présidé par Cristina Kirchner avait au même endroit créé « un espace dédié à la mémoire, la protection et la défense des droits de l’homme ». Il s’agissait pour l’Argentine, par cette nouvelle institution placée sous l’aile de l’Unesco, d’aller plus loin encore : de renforcer « les politiques publiques de mémoire, vérité et justice » et mettre les enseignements tirés de sa triste expérience en matière de dictature au service de la communauté internationale et des droits humains.
C’est ainsi que sur son site l’Unesco saluait le « travail d’ordre juridique » mené par l’État argentin, faisant « directement écho à une volonté de réexaminer l’histoire de ce pays ».
Des déclarations d’intention et une initiative louables qu’a su servir jusqu’à présent à la satisfaction de tous le président du conseil d’administration Baltasar Garzon, haut magistrat espagnol dont le travail avait mené en 1998 à l’arrestation du général Pinochet, putschiste et dictateur chilien. Pourtant, il semblerait que le nouveau pouvoir en place en Argentine depuis novembre 2015 veuille imprimer un revirement dans la gestion de son histoire.
En effet, Claudio Avruj, secrétaire d’État aux Droits de l’homme, dépendant du ministre de la Justice, a défendu des positions et pris quelques mesures qui inquiètent les associations nationales de protection des droits humains. Il prônait par exemple, dans une interview récente donnée au journal La Nacion, le passage pour les condamnés de plus de soixante-dix ans de l’emprisonnement à ce qui s’apparenterait à une résidence surveillée. Et cela quelle que soit la gravité des faits qui leur sont reprochés. Claudio Avruj voudrait-il subrepticement s’engager dans une sorte d’amnistie des crimes de la dictature, dont certains sont imprescriptibles[1], car reconnus comme crimes contre l’humanité ? D’autre part, sous prétexte de restrictions budgétaires, il a coupé les subventions de différentes associations dont celle, emblématique, des Mères de la place de Mai, ces femmes qui depuis trente ans se battent pour retrouver la trace de leurs enfants volés.
Comment dans ce contexte ne pas être étonné de voir ce même Claudio Avruj pressenti pour succéder à Baltasar Garzon au conseil d’administration du CIPDH ?
De plus, même si théoriquement le gouvernement argentin, finançant cette institution à hauteur de 60 %, est en droit de choisir à qui en donner les rênes. Même s’il est dit dans ses statuts que le CIPDH « est une entité décentralisée liée au pouvoir exécutif national, dépendant du secrétariat auprès des droits de l’homme du ministère de la Justice et droits de l’homme ». Comment ne pas s’inquiéter d’un possible conflit d’intérêts entre les deux fonctions qu’occuperait Claudio Avruj, au sein du gouvernement et à la direction de l’institution des droits de l’homme ? Quelle serait, par exemple, sa position de dirigeant du CIPDH en cas de violation par l’État argentin des droits de ses citoyens ? Comment alors imaginer que l’Unesco continue à donner son soutien à cette institution ?
Et tout cela sans parler de la mention inopinée de Claudio Avruj et sa femme dans l’affaire internationale des Panama papers, entre autres différents scandales attachés à son nom…
[1] Son bilan en quelques chiffres : près de 30 000 disparus, 15 000 fusillés, 9 000 prisonniers politiques, 1,5 million d’exilés et 500 bébés enlevés de force à leurs parents.