L’armée libanaise face à Daech : l’ambiance de l’Afghanistan sans la déroute
C’est dans une FOB (Forward Operating Base, Base opérationnelle avancée) que des soldats libanais tiennent un front d’où l’on aperçoit, au loin, les positions de Daech. Nous sommes dans le camp d’Oum Khaled, à quelques kilomètres de Ras Baalbek d’une part et de la frontière syrienne de l’autre. La FOB se caractérise par son mur d’enceinte, construit à base de sacs de terre en matériau spécial, de murs internes en bétons, et d’une tour de garde Hesco, une marque britannique. Avec ses baraquements modulables, de style Algeco, comprenant tout l’équipement nécessaire, vital et informatique, le FOB a tout d’un poste frontière sur une ligne de contact avec l’ennemi.
Un quadrillage classique et efficace : quelques rudiments d’art militaire
Ce sont des soldats libanais, dont je ne suis pas autorisé à dire le nombre, détachés de la caserne de Ras Baalbek, qui tiennent ce bout de front. À Oum Khaled, les tirs s’échangent plusieurs fois par jour. Mortier, mitrailleuse lourde, francs-tireurs. On y répond aux tirs ennemis, visant parfois des cibles en territoire syrien. Les FAL (Forces armées libanaises) n’utilisent pas l’aviation, d’ailleurs elles ne disposent que d’une poignée de chasseurs antiques. L’utilisation de leurs hélicoptères est particulièrement hasardeuse car faciles à abattre. En revanche les quelques avions de repérage font un travail appréciable. À part les mines, terriblement meurtrières, les snipers sont sans doute responsables du plus grand nombre de morts dans cette guerre semi figée des frontières.
Selon le général Marcel Baloukji, qui commande le LBR 2 (Lebanese Border Regiment, Régiment libanais de frontière), la poche de huit kilomètres sur trente de territoire libanais, depuis la frontière syrienne, pourrait être reprise, mais il n’en a pas reçu l’ordre. « Ce ne sont pas les militaires qui prennent ce genre de décision. »
Guerre asymétrique
Nous sommes ici dans une « guerre asymétrique ». Depuis Ras Baalbek, camp militaire principal du secteur 2, les effectifs du LBR 2 (dont nous tairons le nombre sur demande des intéressés) surveillent la frontière. Il y a le LBR 1 plus au nord et, en phase de création, les LBR 3 et 4.
Oum Khaled est l’un des deux postes du secteur, le sixième d’un réseau de douze répartis dans le Nord-Est du Liban. Si à ce point précis l’ennemi s’appelle Daech, al-Nosra aussi est présente et s’active à tenter d’arracher une partie au Liban. De combien de combattants disposent-ils ? Plus de mille ? Probablement.
Les tirs sur les positions libanaises sont réguliers, et les échanges de feu sont plus nombreux encore la nuit. Ici à Oum Khaled, tout est fait pour écarter le risque d’encerclement. Quant à Daech, son but ultime est de trouver la brèche dans le dispositif libanais, le submerger par le nombre, puis marcher sur Ras Baalbek.
La guerre et sa dimension psychologique
La presse internationale a déjà relevé qu’en 2014 Daech était entré en territoire libanais jusque dans la ville d’Arsal, dans le Nord-Est, c’est-à-dire un peu au sud de notre FOB. Plus encore, l’année dernière, l’organisation islamiste a tenu Arsal pendant cinq jours avant que les FAL réussissent à le lui reprendre militairement. Cependant, des sympathies réelles existent ici entre certains Libanais et Daech. En outre, les réfugiés syriens, révoltés contre le régime de Bachar al-Assad, sont souvent favorables eux aussi aux djihadistes. Les fronts étant contigus, si les FAL prenaient la bande de terre à laquelle elles font face à Oum Khaled, où je suis allé, Daech refluerait vers Arsal en se fondant peut-être dans la population. D’où la réticence des FAL de totalement nettoyer Daech du territoire libanais : cette opération causerait sûrement de nombreux morts parmi les civils. De nombreuses victimes chez les Libanais sunnites ultraconservateurs du coin – cette zone est célèbre justement pour ses quelques villages salafistes – risqueraient d’accentuer leur dégoût pour le gouvernement actuel, encore vaguement dominé par le Hezbollah. Ni les gouvernants ni les militaires ne peuvent évoquer cette question, mais chacun y pense.
Encore une fois, les Libanais n’osent trop le répéter, mais leur logique, parfaitement sensée, est simple : les tueurs du Bataclan à Paris ont été formés de l’autre côté de la frontière syrienne, à quelques dizaines de kilomètres de là. Arrêter les djihadistes à Ras Baalbek, c’est protéger l’Europe. Pour l’heure, outre l’aide traditionnelle française, qui fléchit ces derniers temps, les Américains et tout aussi vigoureusement les Britanniques apportent matériels de surveillance et armement. Les militaires libanais sentent qu’ils font le travail du monde civilisé, et voudraient simplement que cela se sache.