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Homayra Sellier : « L’enfance est la seule cause qui m’importe »

Comment ne pas tordre la bouche au récit des calvaires qu’endurent tant d’enfants ? Comment ne pas être pris par le dégoût, la nausée ? C’est impossible, évidemment. Mais il ne suffit pas de compatir, de s’indigner, il faut se mobiliser, dénoncer et agir. C’est le message que porte, partout et sans relâche, Homayra Sellier.

La solitude est grande de ceux qui défendent les enfants et tentent de donner à leur voix la puissance et le poids qui lui font cruellement défaut. Elle n’est pourtant rien comparée à celle de trop de petits anges abandonnés, parfois livrés, à la violence d’adultes et à leur perversité. Briser le silence coupable – car l’indifférence est complice – qui entoure leur souffrance, sauver du danger l’innocence est pour Homayra Sellier la seule cause qui importe.

Elle en conviendra aisément, le revendiquera même, aucun portrait, aucune histoire ne la raconte mieux que la cause qu’elle défend. Elle est cette cause, celle des enfants. D’ailleurs, lorsqu’elle consent à évoquer sa biographie, ce n’est que pour révéler la raison de son engagement.

À l’âge de dix-sept ans, Homayra Sellier quitte l’Iran, en pleine révolution, avec sa sœur et des amies, toutes envoyées en France par leurs parents inquiets de les mettre à l’abri. Elles resteront à Paris le temps que les choses se tassent puis retourneront au pays. Enfin, c’est le programme. Ces jeunes filles sont donc seules dans la capitale étrangère, dont elles rêvaient sans doute autrefois depuis Téhéran. Comme il est exaltant, surtout à l’adolescence, de réaliser un rêve. Mais le rêve prépare mal à la réalité. Ignorantes des codes et coutumes de leur pays d’accueil, chacune réagit autrement aux sollicitations. Question de caractère et d’interprétation.

Au restaurant, dans les cafés, ces belles filles au charme exotique sont l’objet de curiosité. Il leur arrive d’être invitées, par l’intermédiaire de serveurs, à se joindre à des inconnus le temps d’un dîner, d’une soirée. Toute à sa naïveté, Homayra qui ne comprend pas la raison de ces attentions décline poliment chaque fois. Mais une de ses amies, n’y voyant aucun mal, sera piégée. Et violée.

Quelques années plus tard, trois semaines après son mariage, cette amie se suicidera. Selon la note qu’elle a laissée, elle se sentait trop sale pour avoir droit à ce bonheur, à cet amour et à la vie. Accablée de n’avoir pas pu aider et sauver son amie, Homayra se promet alors d’œuvrer à éviter le gâchis d’autres vies. Elle n’imagine pas encore l’ampleur de l’œuvre à accomplir ni que cette lutte ne lui vaudra pas seulement des amis.

Ce qu’Homayra dit et redit, clame, réclame et défend de toute la force de sa passion et de sa conviction, il nous faut tous un jour l’entendre si ce n’est par amour pour eux, au moins par intérêt – oui, certains ne comprennent que ça – car les enfants d’aujourd’hui feront notre monde, demain.

Entretien avec Homayra Sellier, présidente de l’association Innocence en danger, mouvement mondial de protection des enfants contre toute forme de violences notamment sexuelles.

Comment avez-vous eu l’idée de créer Innocence en danger ?

Après la mort de mon amie, je me suis intéressée au problème et j’ai cherché comment agir. J’ai assisté à des conférences et réunions sur ce thème. En 1998, j’ai fini par trouver. Cette année-là, une opération du nom de Cathédrale, menée conjointement par les polices de 14 nations, a mené au démantèlement d’un réseau cybercriminel, étendu sur 41 pays, et à l’arrestation d’une cinquantaine de personnes. Un événement retentissant qui a donné lieu à l’Unesco à un travail de réflexion « sur la pornographie impliquant des enfants et la pédophilie sur Internet ». Au terme de ce travail, Federico Mayor Zaragoza, alors directeur général de l’Unesco, m’a nommée à la tête d’Innocence en danger, mouvement de protection mondial de l’enfance. Je n’aurais jamais imaginé rencontrer tant d’hostilité sur un sujet pareil. Mon travail a été entravé. J’ai même reçu des menaces. Quand Federico Mayor a été remplacé, on m’a fait comprendre que la protection de l’enfance était un sujet noir et qu’on n’avait pas les moyens de lutter contre ce fléau. En 2000, je suis partie pour créer mon association. J’ai commencé avec un petit bureau. Et peu à peu, les dossiers sont arrivés. Aujourd’hui on a des antennes dans beaucoup de pays, en dehors de la France : en Allemagne, Suisse, Colombie, Angleterre, Autriche, aux USA, au Maroc et en Iran depuis peu…

 Quels sont les principaux « chantiers » que vous préconisez ?

Le premier objectif bien sûr est la prévention. Le nerf de la prévention étant l’information, il faudrait mener des campagnes d’abord dans les écoles en direction des enfants. Mais en France, l’éducation nationale en refuse même le concept alors que cela aiderait les victimes de ces violences à mettre un nom dessus, à comprendre qu’ils ne sont pas seuls, que ce qui leur arrive n’est pas naturel ni normal et à libérer leur parole. Au lieu de ça, le plus souvent, on bâillonne les enfants ou on refuse de les entendre, préférant croire qu’ils inventent. On balaie sous le tapis. Juste pour avoir la paix. Quelle ignorance ! Nous la paierons. Le coût de cette politique de déni est incommensurable. Ces enfants seront tous un jour psychiatrisés. Et hormis les dégâts humains, vous savez ce que ça représente rien qu’en terme de dépense santé ? Ce ne sont pas des millions mais des milliards d’euros.

Ensuite, et encore dans le domaine préventif, il y a le volet détection. Il est clair que les prédateurs ont tendance à choisir des professions qui les mettront en contact avec des enfants. C’est logique. Ce qui veut dire l’enseignement, l’entraînement sportif… Ce n’est pas un hasard ces scandales qui sortent actuellement. Or que fait-on en France quand un tel cas est signalé ? Au lieu de tenir le coupable à l’écart des enfants, pour ne pas faire de bruit, on le mute ! On le mute ! Évidemment qu’il recommence. L’impunité équivaut à un encouragement.

Enfin, en terme de prévention il faut agir aussi en direction des pédophiles. En effet, certains sont conscients que ce qu’ils font est mal et aimeraient qu’on les arrête. Parce qu’ils n’y parviennent pas tout seuls. On a fait une campagne en Allemagne : « Si tu aimes trop les enfants, appelle-nous ». Et ça marche. Sauf qu’en France, non. Certains ont aimé l’idée, mais d’autres, les décideurs, l’ont trouvée trop violente. Et  ce que vivent ces enfants, c’est quoi, si ce n’est violent ?!

Y a-t-il selon vous des moyens juridiques à mettre en œuvre ?

D’abord, il faut inscrire ces crimes – violer un mineur en est un, même si cela est trop souvent considéré comme un délit (70 % des cas en France) – dans les casiers judiciaires des personnes concernées. Sans exception. Comment peut-on prévenir des crimes si on ne recense même pas ceux qui s’en sont déjà rendus coupables par le passé ? Il y a des milliers de classements sans suite en partie parce qu’entre copains les gens se protègent et se tiennent. Je préconise des sanctions lourdes. La société doit prouver par les sanctions qu’elle envisage qu’il s’agit de crimes graves. Je parle aussi de ceux qui ne veulent pas se mêler, les complices silencieux. Au procès de Marina, il y a eu 60 témoins. Dont 58 n’ont rien dit, rien fait. Pour moi, tous auraient dû être jugés, et condamnés, pour non-assistance à personne en danger. Ils sont tous sortis libres.

Enfin, il faut aussi se donner les moyens, en terme de justice. Proportionnellement, le budget de la justice en France est le 41e dans le monde. On a de l’argent pour quoi dans ce pays ? Pour des avions privés ? Il faudrait arrêter de s’autoproclamer pays des droits de l’homme.

Quel est le bilan actuel ?

En France, il n’y a pas de chiffres officiels. C’est toujours la même chose. Tant qu’on ne dit rien, les gens ne savent pas. Et tant qu’ils ne savent pas, ils ne s’inquiètent pas non plus. Selon un sondage, 4 millions de Français ont subi l’inceste. Il y a 420 viols par jour en France. Et 700 enfants meurent chaque année de violences familiales, c’est-à-dire 2 enfants par jour ! Parfois même des bébés. Il faut savoir que 80 % des agressions sexuelles subies par des enfants se passent dans la famille. Ils sont des milliers à souffrir. Et ces chiffres de violences ne tiennent pas compte des enfants autistes ou handicapés. Parce que là, on n’a aucun moyen de contrôler. Encore un chiffre : 940 dossiers d’instituteurs sont à l’étude en ce moment. Trop de gens se taisent sous le poids de pressions ou parce qu’ils se sentent coupables d’avoir tourné la tête. À juste titre d’ailleurs : il s’agit encore une fois très clairement de non-assistance à personne en danger. La France a déjà été épinglée par le comité international des droits de l’enfant, et plusieurs fois condamnée par la cour européenne des droits de l’homme. C’est incroyable le mal qu’on fait à notre avenir ! J’ai mal pour les enfants en France.

Opio Derrick Hosea
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