International
11H41 - mardi 7 juin 2016

La révolution bolivarienne à bout de souffle ?

 

Avec le Brésil, le Venezuela est sans doute le pays latino-américain qui souffre le plus de la fin du cycle de croissance économique porté par l’exportation des matières premières.

Campagne électorale de 2013 – Crédit photo : Joka Madruga/CC. Flickr

Campagne électorale de 2013 – Crédit photo : Joka Madruga/CC. Flickr

Avec un taux de chômage qui explose, des salaires qui s’effondrent, une insécurité qui gagne de plus en plus de terrain, des difficultés d’approvisionnement en produits de première nécessité, le tableau est sombre de ce pays qui se voulait le thuriféraire de l’intégration latino-américaine et du socialisme du xxie siècle. Le Venezuela paye le tribut de sa dépendance historique et structurelle à la rente pétrolière, et la révolution bolivarienne doit assumer son manque d’audace pour introduire un semblant de diversification économique dans le pays.

De l’état d’urgence économique

Depuis quelques années l’inflation galopante ronge le pouvoir d’achat des Vénézuéliens et plonge le pays dans une détresse exceptionnelle. En 2015, l’inflation de 180 % était accompagnée d’une chute de 7 % du PIB. Des records mondiaux dramatiques, qui décrivent la décomposition du système chaviste et représentent malheureusement aussi la promesse d’un avenir de conflits sociaux : le FMI prévoit pour 2016 une inflation de 700 % !

Dans cette mauvaise passe le gouvernement de Nicolás Maduro a été contraint d’annoncer une hausse de 6 000 % du prix de l’essence à la pompe. Pour des Vénézuéliens habitués à un pétrole hautement subventionné, c’est le symbole d’une crise qui frappe durement et durablement leur quotidien.

Pendant des décennies, le Venezuela, avec le premier PIB par habitant d’Amérique du Sud, représentait un havre de stabilité pour les Latino-Américains. Aujourd’hui, au contraire, le pays enregistre une véritable fuite de cerveaux : des milliers de Vénézuéliens font le choix d’émigrer vers les pays voisins en quête de salaires à la hauteur de leurs qualifications.

L’insécurité transforme le quotidien de la population : les pénuries alimentaires – une forme d’insécurité – habituent les Vénézuéliens aux queues interminables et au rationnement.

Le gouvernement qui, extrêmement dépendant des importations, assure avec difficulté l’approvisionnement en produits de première nécessité, doit faire face par ailleurs aux entreprises de déstabilisation menées par les États-Unis et l’opposition bourgeoise.

KONICA MINOLTA DIGITAL CAMERA

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Le Venezuela traverse donc une situation catastrophique qui a poussé le gouvernement de Nicolás Maduro –« fils » autodésigné et « apôtre » d’Hugo Chávez – à décréter l’état d’urgence économique en janvier 2016. Il s’agit d’une configuration constitutionnelle qui autoriserait l’exécutif à disposer des biens du secteur privé pour garantir l’approvisionnement en produits de première nécessité. Or, l’opposition et la bourgeoisie vénézuéliennes, qui se souviennent des expropriations et saisies d’usines imposées sous Hugo Chávez, craignent de se voir dépossédées de leurs biens.

Ainsi, le Parlement monocaméral vénézuélien (l’Asamblea nacional), acquis à l’opposition depuis décembre, a-t-il rejeté par deux fois cette disposition qu’il juge non seulement dangereuse mais surtout anticonstitutionnelle… pourtant son rejet n’est que formel et sans conséquences. En effet, malgré les recours et mobilisations de l’opposition, le Tribunal suprême de justice – que l’on dit proche du chavisme – a validé la décision de l’exécutif et prorogé l’état d’urgence passant outre l’avis du Parlement.

Le chavisme, contesté mais pas vaincu

Il faut rappeler qu’en décembre dernier le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) perdait les élections parlementaires, remportées par la droite libérale antichaviste. C’était le début de la « cohabitation » du pouvoir avec l’opposition organisée autour de la Mesa de la Unidad Demócratica (MUD, droite libérale).

Avec deux tiers des sièges au Parlement monocaméral, la MUD obtenait des pouvoirs jusqu’ici inédits pour une opposition habituée à être « maltraitée ». La nouvelle majorité peut, désormais, prendre l’initiative de défaire les réformes phare du régime chaviste : la réforme agraire (qui limite le monopole des terres), la loi sur le travail (qui interdit les licenciements massifs), l’encadrement des prix et les fonds versés aux programmes sociaux.

Des militants de la MUD célébrèrent la victoire de décembre 2015 – Wikimedia Commons

Des militants de la MUD célèbrent la victoire de décembre 2015 – Wikimedia Commons

Forte de sa victoire, et dans une logique de confrontation directe au pouvoir en place, dans l’espoir de le faire tomber, l’opposition a même appelé à la tenue d’un référendum révocatoire, une figure mise en place par la Constitution de 1999 et déjà intentée contre Chávez en 2004. Cependant, avant même que les autorités compétentes ne s’expriment sur la tenue de ce référendum, pour bloquer toute tentative de révocation du président Maduro, théoriquement en place jusqu’en 2019, l’exécutif et le PSUV ont brandi le spectre du « coup d’État parlementaire » brésilien. Les discours anti-oligarchique et anti-impérialiste ont encore leur audience dans la population.

La victoire électorale de la MUD ne signifie pas que le chavisme soit en passe de perdre le contrôle du pays. La division horizontale du pouvoir de l’État vénézuélien est organisée en cinq branches et, en plus des trois pouvoirs traditionnels, la Constitution de 1999 a introduit deux nouvelles ramifications : le pouvoir électoral et le pouvoir citoyen. Leurs membres sont désignés par le Parlement et, aujourd’hui, leurs titulaires appartiennent toujours à l’ancienne majorité chaviste, ce qui limite encore plus la capacité d’action et de réforme de l’opposition. Par ailleurs, le « chavisme populaire »  –celui des conseils locaux, municipaux, des misiones (programmes sociaux emblématiques de la « révolution ») – sera plus difficile à vaincre que le chavisme d’État.

L’Unasur (Union des nations sud-américaines) a proposé sa médiation pour que le gouvernement vénézuélien et les représentants de la MUD trouvent un terrain d’entente, face à la crise économique. Dans les semaines qui viennent les deux parties se réuniront pour essayer de trouver une solution aux blocages qui paralysent le pays.

Quelle que soit l’issue de ces négociations le Venezuela doit revoir sa dépendance structurelle aux hydrocarbures. Le pays, spécialisé dans l’extraction de pétrole mais ne disposant pas d’infrastructures de raffinage, pourrait bien un jour, paradoxalement, se trouver à court de pétrole.

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