Difficile de faire abstraction des combats qui se mènent derrière le faste un peu honteux – à l’aune du développement de la misère dans le pays – de l’Euro 2016. Une fête qui a coûté 1,7 milliard d’euros. Mais dont les « retombées devraient compenser les dépenses », on est contents de l’apprendre.
Depuis les attentats sanglants du 13 novembre 2015, et plus encore après ceux du 22 mars dernier, la sécurisation de l’Euro 2016 est sous toutes les plumes. La menace terroriste a clairement remisé le sport au second plan de la grande fête du foot. La victoire que l’on espère tous fêter à Saint-Denis le 10 juillet prochain est celle de la France sur la peur, la mort et l’abjection. Rien qu’en cela, les barbares ont remporté la première manche. Car ils ont réussi à envahir nos esprits. Ils se sont même glissés dans This One’s for You l’hymne que David Guetta, ambassadeur musical de l’Euro 2016, a composé pour l’occasion : « Nous sommes nés pour voler, alors vivons jusqu’à la fin… Agitant des drapeaux colorés, nous ne nous rendrons pas… nous sommes ensemble pour toujours… » ou peut-être en est-ce seulement mon interprétation ?
Le résultat est saisissant. Pour éviter le bain de sang, la France a mobilisé autour de la grande fête du foot 42 000 policiers, 30 000 gendarmes, 12 000 agents de sécurité privés, 10 000 militaires, 3 400 CRS, 2 500 pompiers, 300 démineurs. Et dépensé 24 millions pour rendre sûres les seules fan zones. Une fête, ça ?
Hier, veille du match d’ouverture, un concert a été donné pour lancer les réjouissances. Dès 15 heures, à Paris, le quartier du Champ de Mars avait été bouclé dans un rayon de plus de cent mètres autour de la fameuse fan zone. Un premier dispositif de 21 postes de contrôles puis un second de 6 portes avaient été installés. Palpations, fouilles, contrôles d’identité. La routine, finalement : la terreur fait la loi chez nous. Depuis quand ? Difficile à dire. Le franchissement de chaque cap est dur à avaler, mais de palier en palier on a fini par accepter, pire à s’habituer.
Nous préparons, par exemple, nos bagages en fonction des consignes de sécurité. Dans les aéroports, nous vidons à la hâte nos bouteilles d’eau pour les jeter avant de passer au contrôle. Nous défilons sans rechigner en chaussettes et bras écartés sous des porches qui biperont ou pas, sans qu’on sache trop pourquoi, mais on ne s’en plaint pas, si ça peut nous sauver la vie. Nous nous laissons même tripoter – en termes policés, cela s’appelle « palper ». Nous ouvrons tous nos sacs à main à l’entrée des grands magasins. Et nous réjouissons, oui nous réjouissons, de voir des soldats en factions devant l’école de nos enfants.
Pour le concert du Champ de Mars, la préfecture de police avait hier par Twitter recommandé aux spectateurs d’éviter de porter des T-shirts luminescents, parce que leurs composants comportent de fortes similitudes avec ceux d’engins explosifs. À quand les concerts en chaussettes ? Quant à allumer son briquet, ce sera bientôt impossible, car nos mains seront occupées à retenir nos pantalons : les ceintures, Messieurs-Dames, devront rester au portillon.
Mais nous n’en sommes pas là. Et peut-être, finalement, n’y arriverons-nous pas : en maintenant la fête dans son intégralité, les dirigeants français ont fait œuvre de résistance, qui nous coûte beaucoup en moyens mais constitue un symbole fort. Ils ont ainsi déclaré que la terreur ne passera pas. Qu’elle ne dictera pas sa conduite au peuple de France. Ce test est dangereux, car il se fera in vivo. En revanche, s’il réussit, si nos forces de l’ordre parviennent à déjouer les desseins malsains de la haine, l’Euro 2016 restera dans les mémoires comme une victoire du monde civilisé sur celui de la barbarie, peut-être même comme un tournant dans ce combat sans merci.
Nous sommes en bonne voie d’ailleurs : hier soir, à Paris, 80 000 personnes ont bravé la terreur et se sont réunis au pied de la tour Eiffel pour applaudir David Guetta. Souhaitons donc à la police et à l’armée françaises courage et force pour remporter ce tournoi capital. Quant à la coupe d’Europe, eh bien, que le meilleur la gagne !