L’opposition frontale entre la CGT, interdite de manifester puis finalement autorisée sur un parcours réduit autour de la Bastille, et les autorités policières est inédite depuis la guerre d’Algérie.
La CGT et la police, c’est une histoire de plus de 113 ans, née avec les mouvements ouvriers de la fin du xixe siècle. Ce qui se passe depuis quelques semaines entre la centrale de Montreuil et les institutions policières révèle une crise majeure, comme il n’y en a plus eu depuis Mai 68 ou la Guerre d’Algérie. La CGT avait jusqu’à maintenant toujours ménagé les fonctionnaires de police en défendant ardemment leurs revendications. Souvent son service d’ordre était composé de policiers hors service qui assuraient à la fois une vraie maîtrise des techniques d’intervention, pour garantir le bon déroulement des cortèges, et une bonne liaison entre les organisateurs de manifestations et les autorités. Il semblerait donc aujourd’hui qu’après plus d’un siècle de « vie commune » la police et la CGT soient sur le point de divorcer. Au regard des derniers discours, des provocations des uns ou des autres sur des affiches polémiques, qu’elle semble loin l’année 1946 où la Fédération police de la CGT comptaient jusqu’à 100 000 policiers dans ses rangs. Jamais aucune police du monde n’avait eu autant d’adhérents dans un syndicat ouvrier, qui plus est révolutionnaire !
Regarder l’histoire en face
Les jeunes militants et adhérents de la CGT tout comme les jeunes policiers devraient se replonger dans leur histoire commune. Se souvenir que les policiers membres des réseaux clandestins du Front national police ont payé un lourd tribut à l’occupant nazi, pourchassés par la Gestapo, infiltrée dans les services de la police. Se souvenir de ces policiers qui couraient prévenir leurs voisins juifs du danger imminent alors que d’autres participaient à la rafle du Vel d’Hiv. Se souvenir de ces policiers qui ont caché ces familles parmi les leurs, en province ou en banlieue. Enfin se souvenir que ce sont les policiers proches des réseaux clandestins de la CGT et du PC qui furent les premiers à prendre les armes pour libérer Paris. Au cours de la guerre d’Algérie, qui a fait près de 47 morts dans les rangs de la police parisienne, entre 1957 et 1961 : alors que les policiers de France sont envoyés en nombre maintenir l’ordre en Algérie, les militants de la Fédération police de la CGT organisent des blocages de trains, se couchant sur les voies ferrées. La plupart seront révoqués. En Mai 68, la fédération police et ses militants prennent position en faveur des travailleurs en lutte, condamnant les violences et les provocations venant des forces de l’ordre. Mais aujourd’hui, la CGT et la police sont dressées l’une contre l’autre et il n’est pas certain que ce soit la meilleure des choses. De ce point de vue, autant la direction actuelle de la CGT que les politiques et les sphères dirigeantes de la police sont responsables de cette fracture dont la démocratie se serait bien passée.