Devenu au fil des décennies la tête de proue de la lutte antidopage grâce à ses nombreuses interventions dans les médias, Jean-Pierre de Mondenard reste avant tout médecin du sport. À quelques jours du départ du Tour de France cycliste et à quelques semaines des Jeux olympiques, il a accepté de se confier.
Comment avez-vous réagi aux récentes décisions prises par le CIO et l’IAAF à l’encontre de la Russie, menacée d’être bannie des JO de Rio à la suite du dopage de certain(e)s de ses athlètes ?
Le problème est que le dopage ne touche pas que les Russes et tous les sports sont concernés. La différence est que la Russie organise le dopage au niveau de l’État depuis 1952, qu’elle n’en est jamais sortie et a même créé des substances liées au dopage, comme le bromontan (interdit en 1996) et le carphédon (un stimulant interdit en 1998). Idem pour le meldonium fabriqué dans les pays de l’Est et destiné à améliorer la performance des gens. Je n’ai rien contre les Russes, les Américains se dopent aussi. D’ailleurs, c’est facile de savoir qui se dope : le top 5 des médailles.
La lutte antidopage est-elle selon vous efficace ou inégale en fonction des disciplines, voire des pays ?
Elle ne peut pas fonctionner car le problème numéro 1 est qu’elle est menée par le monde du sport. Vous voulez un exemple ? Récemment, lors d’une compétition de judo disputée à Saint-Cyprien, deux judokates, l’une allemande et l’autre kosovare, ont refusé de se faire contrôler par l’Agence française de lutte antidopage au prétexte que cette dernière n’a pas le droit de contrôler des athlètes étrangers. La fédération internationale de judo est venue à leur secours après l’arrivée de la contrôleuse…
Sport le plus populaire, le football semble peu touché par le dopage, comment l’expliquer ?
C’est lié au fait que l’UEFA a verrouillé tous les systèmes de communication, on l’a vu avec l’affaire Mamadou Sakho : il prend un brûleur de graisse, il se fait contrôler lors d’un match d’Europa league par un labo anglais qui envoie ensuite à l’UEFA. Les avocats affirment que le produit n’est pas dans la liste interdite, il prend trente jours de suspension en attente, et est libéré car jugé non responsable ! Cela prouve que le foot s’arrange avec le règlement. Si le labo français (de l’AFDL) l’avait contrôlé et trouvé la substance, il l’aurait envoyée à la Fédération française de football, l’AFDL aurait repris le dossier et sanctionné Sakho normalement. Un cycliste aurait été suspendu entre six mois et deux ans…
Une Néerlandaise a récemment été suspendue pour avoir utilisé un moteur sur son vélo. Imaginiez-vous un jour ce type de triche, qui plus est dans le sport féminin ?
Lors du Tour de France 1904, Maurice Garin n’a pas pédalé pendant un bon moment sur une étape, cela a donc toujours existé. La triche est consubstantielle à l’être humain, il y a plus de tricheurs, de menteurs que l’inverse. Une enquête de 2010 dans le foot révèle que 92 % des joueurs de haut niveau sont prêts à tricher pour une victoire de match. L’être humain n’essaie pas d’accepter les règles, il essaie de les contourner, tout le monde s’adapte. Une autre enquête réalisée par une université américaine a conclu que, sur 30 000 étudiants, 61 % trichent. Les buralistes vendent des cigarettes aux mineurs… La plupart des affaires de dopage sont révélées par la police (affaire Puerto ou Balco).
Il y a aussi des produits borderline comme la caféine : interdite de 1982 à 2004, elle a été retirée par l’Ama qui est une entité du CIO. Pourtant, des études qui démontrent son efficacité, il y en a des caisses (selon une étude néo-zélandaise, elle améliorerait la précision du tir et la détente verticale). Mais le sponsor planétaire dans le monde du sport, c’est Coca…
Je pense aussi au Néoton utilisé par Fabio Cannavaro avant la finale de la coupe de l’UEFA entre Parme et Marseille en 1999 : le monde entier l’a vu, le produit n’est pas dans la liste, mais on appelle cela une conduite dopante car elle est contraire à l’éthique médicale (le joueur italien n’est pas cardiaque).
Enfin, comment ne pas évoquer le prince Alexandre de Mérode (), président de la commission médicale du CIO au moment de la révélation du dopage de l’athlète Ben Johnson et à qui Juan Antonio Samaranch, alors président dudit CIO, n’a pas adressé la parole pendant six mois !
C’est la conclusion aveuglante de cinquante ans de « lutte contre le dopage » : il faut montrer qu’on lutte mais n’attraper personne… Si les Russes vont aux JO, c’est une défaite de plus pour la lutte antidopage.
À quelques jours du départ du Tour de France, et dix-huit ans après l’affaire Festina, quelle est la situation actuelle dans le cyclisme ?
Ils se sont adaptés. Qu’est-ce qui fait le dopage ? C’est la compétition ! Tout le monde veut exister, passer dans le journal, réaliser des performances. Le deuxième paramètre, c’est la médiatisation : Tour de France, JO, championnats du monde, voilà des compétitions très médiatisées. Imaginez que, pour montrer « patte blanche », on enlève les sept victoires du Tour de France à Lance Armstrong ! Je rêve… On aurait dû l’enlever à tous, dont Coppi et Anquetil qui ont dit s’être dopés. Armstrong est un voyou, mais c’est un vrai coureur cycliste. J’ai été le premier à dire qu’il utilisait le même dopage que les Allemands de l’Est des années 1980 et que ses adversaires directs lors de ses sept victoires dans le Tour (anabolisants, testostérone), mais la différence est qu’il était hyper organisé pour la performance, avec une équipe « à sa botte ».