Place de la République le soir-même de l’attentat de Charlie Hebdo
Au lendemain de l’attentat de Nice, l’horreur et la douleur des Français et même des citoyens du monde est impressionnante, et nous la partageons d’autant plus directement que les attentats de Paris sont passés assez près d’un grand nombre d’entre nous. Toutefois, il faut réfléchir à ce qui est en train de se passer sur le plan moral et psychologique des Français. Nous courons un danger : la réaction déraisonnée à ces attaques infernales. Voici le risque que malheureusement je prévois.
Dans les terribles circonstances du terrorisme récurrent, je me fie à mon instinct. Je pensais encore la semaine dernière qu’au bout de deux attentats encore en France, la haine ressortirait chez les gens qui sont les cibles dernières et désormais régulières des attentats: les Français moyens ordinaires. C’est-à-dire des gens vaquant à des activités sans la moindre connotation. Les spectateurs d’un feu d’artifice sont encore plus ordinaires, si c’est possible, que les gens qui vont à un concert de Eagles of Death Metal. Le feu d’artifice n’était pas de la « débauche », le voici devenu à toutes fins pratiques.
Mon terrible pressentiment, un genre de cauchemar: encore un attentat de cette envergure, et des bandes de Français ordinaires se formeraient spontanément pour attaquer des mosquées. Ou pour attaquer des gens de type arabe qui seraient pris pour des terroristes ou leurs sympathisants. Le dire n’est pas le souhaiter, mais ne pas le deviner devient débile, en cette heure.
Ainsi, des salafistes ou autres extrémistes islamisants qui n’approuvent pas le mode de vie français dans son sens large (la fête, la gastronomie avec porc et alcool, la mixité homme-femme, les orientations sexuelles libérées, les interventions militaires au Sahel et au Levant) pourraient dans mon cauchemar être molestés, voire pire. Et comme toujours, des individus habillés dans le style du croyant musulman fondamentaliste seraient frappés alors qu’ils n’auraient individuellement rien à voir avec les tueurs. La logique de la guerre civilo-ethnique, comme pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), va alors commencer. Encore une fois: le dire n’est pas le souhaiter, mais ne pas le concevoir est débile. Répondre au malheur du terrorisme barbare par un comportement barbare est la négation de notre grande civilisation occidentale. Les ratonnades et contre-ratonnades sont un engrenage qui finit très très mal.
Comment arrêter à la fois le terrorisme et la réaction de contre-haine généralisée ? Il y a l’État pour faire cela, et aussi les esprits et les voix raisonnables. Or Daech a un plan, connu: pousser à la guerre civile en Occident. Daech veut que des lynchages de musulmans se produisent. Daech veut la guerre raciale, et la guerre religieuse, dans sa stratégie évidente de créer un chaos qui seules lui offrent une petite chance de réussite mondiale pour son projet: un caliphat sociopathique mondial.
Il ne faut pas suivre la partition déjà écrite par Daech. La communauté nationale française doit choisir sa riposte, et ne pas se la faire dicter. Et mobiliser les cerveaux, les volontés, les institutions. Mobiliser les Français de toutes sortes, et plus intéressants que tous les franco-arabes qui eux seront exposés à la vindicte daechienne, ne l’oublions pas. La vie paisible est terminée, il faut être martial, vigilant, inclusif, fort, stoïque, efficace. On gagnera ainsi.