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15H01 - mercredi 20 juillet 2016

Au Japon, le militarisme mou triomphe sans gloire

 

Tokyo, Juillet 2016 – dimanche dernier, à la lumière des flashs et un large sourire aux lèvres, M. Abe accrochait des roses aux noms de ses troupes victorieuses.

Crédit : kremlin.ru

Crédit photo : kremlin.ru, domaine public

Cette semaine, le Premier Ministre Japonais avait toutes les raisons de sourire. Dimanche lui a offert une victoire sans précédent, même selon les critères de la politique japonaise. Son parti libéral-démocrate (PLD) a remporté 146 sièges au Sénat, au côté de son partenaire de coalition, le Komeito. Le Premier Ministre a maintenant la main haute, et un pouvoir indéniable sur les deux Chambres.           
En effet, la coalition politique de M. Abe dispose désormais de la « super-majorité » des deux tiers nécessaire aux réformes qu’il réclamait depuis longtemps. Parmi ces réformes, la révision de la Constitution pacifiste est au cœur des inquiétudes dans la région.

Le Premier Ministre et le PLD appelaient à cette révision depuis plus d’une décennie. Avec le soutien des deux Chambres, c’est désormais chose possible. M. Abe pourra ré-ouvrir le débat autour de l’article 9, qui restreint les capacités militaires du Japon. Dès lundi, il a réaffirmé son engagement à entreprendre un tel changement, rappelant que c’est l’une des raisons d’être de son très conservateur PLD.

Sa déclaration et les récentes élections ont soulevé l’inquiétude des pays voisins, qui n’ont pas oublié le passé militaire du Japon et l’impérialisme dont ils ont souffert. La Corée et la Chine craignent que le résultat de ces élections n’ébranlent le fragile équilibre régional : cela pourrait être « un danger pour la région et un danger pour le Japon », a ainsi déclaré Xinhua, l’agence de presse chinoise. La Corée du Sud s’est montrée plus ambigüe dans ses déclarations, considérant qu’un Japon remilitarisé pourrait devenir un contre-pouvoir clef face à la Corée du Nord et à la Chine. Ces élections réveillent à nouveau les tensions régnant en Asie du Sud-Est, mais pas uniquement. Elles révèlent également certaines divisions de l’archipel nippon.Le projet de révision de la Constitution a provoqué une large vague de protestations par le passé – et nombreux sont ceux au Japon qui s’y opposent. Même le Komeito, allié du PLD, n’apporte pas ouvertement son soutien à ce projet controversé. Malgré la victoire écrasante du parti conservateur, un sondage conduit le 11 et 12 juillet par l’Asahi Shinbun a révélé que 43% des répondants s’opposaient à une modification de la Constitution, contre 35% en sa faveur.En approfondissant un peu, l’opposition à ce projet apparaît cependant équivoque et met au jour un fossé générationnel. Les jeunes électeurs et leurs aînés ont souvent des positions radicalement différentes. Nombreux sont les plus jeunes qui ne montrent pas de réel attachement à la Constitution pacifiste. 

« La Constitution fonctionne mal à présent », souligne Yamanaka Syota, étudiant à l’université de Tokyo, « je pense que l’on doit effectuer des changements pour transformer l’Armée d’Auto-défense du Japon ». Pour lui, l’article 9 et, plus largement, la Constitution, devraient être débattus et remis en question. « La Constitution devrait être modifiée, je pense, pas seulement l’article 9 […] et puis nous pouvons la modifier sans cesser d’être un pays pacifiste. L’article 9 et la paix ne sont pas dépendants l’un de l’autre ».Cette opinion semble partagée par de nombreuses personnes du même âge – les Japonais de moins de 30 ans sont plus susceptibles de soutenir la révision constitutionnelle que leurs aînés. « Je n’ai pas vraiment décidé [en ce qui concerne l’article 9] [mais] je pense que le Japon devrait être capable de se défendre. Ça ne veut pas dire que le pays est violent. C’est pour que le pays soit indépendant », explique Kazuma Kobatake, étudiant en 4ème année à l’université de Keio. Bien qu’il reconnaisse et apprécie le rôle joué par l’article 9 pour la « paix mondiale et dans l’Asie d’après-guerre », il souhaite également voir adopter « quelque chose comme un article 9,5 », qui permettrait de modifier le rôle purement défensif de l’armée japonaise actuelle.Selon David Holley, enseignant aux universités de Waseda et de Tokyo, et ancien correspondant du Los Angeles Times, l’attitude des jeunes Japonais envers la Constitution pacifiste s’explique en partie par les réformes de l’éducation conduites par le PLD ces dernières années : « c’est le résultat des efforts fructueux de ré-écriture des manuels scolaires, que le PLD avait entrepris quelques années plus tôt », dit-il.A l’époque, les réformes scolaires avaient été violemment critiquées, notamment pour ses positions nationalistes et révisionnistes. Pour les générations actuelles, qui n’ont pas connu la période d’après-guerre et ses mouvements progressistes, le pacifisme constitutionnel ne se pare plus que d’un vague charme suranné et ne parvient pas à mobiliser. 

La culture politique des jeunes Japonais peut paraître aseptisée à certains. Non seulement de nombreux jeunes semblent avoir assimilé le discours gouvernemental sur la Constitution, mais ils sont également nombreux à avoir donné leurs voix au parti au pouvoir – contrairement à leurs équivalents occidentaux traditionnellement plus à gauche. D’après le sondage de Kyodo News, plus de 40% des jeunes entre 20 et 30 ans ont voté pour les conservateur s, c’est-à-dire le PLD.Ce comportement électoral semble davantage  trouver sa source dans un désintérêt pour la politique, qu’en un réel attachement partisan.

Bien que ce soit la première élection nationale à laquelle les 18-19 ans pouvaient participer, les politiciens n’ont pas réussi à les mobiliser. « On s’en moque, on est optimistes parce que le Japon est paisible et stable. Alors, on ne prête pas beaucoup d’attention à la politique, à l’économie, aux lois ou à la Constitution », résume Atsuki Kimoto, étudiant en licence à Keio.Le désir de stabilité – politique, économique ou social – semble être au cœur des votes des jeunes. « J’étais surpris, je pensais que plus de jeunes iraient voter, mais personnellement je suis quand même content des résultats, parce que je souhaite que le Japon reste stable », rapporte M. Kobatake. Dans l’archipel, voter pour le PLD ou des partis de la coalition ressemble moins à un choix qu’à un vote passif pour la continuité. Alors que le désastreux mandat du Premier Ministre Hatoyama (centre-gauche) est encore bien présent dans les mémoires, les alternatives politiques ne convainquent pas les jeunes électeurs. Le LDP reste donc la force politique incontestée du pays – et gouverne le Japon de manière presque ininterrompue depuis sa création en 1955. Dans ces conditions, l’alternance politique et le multipartisme paraissent se cantonner aux débats de l’Assemblée et aux élections locales. Pour M. Ogoda, le Parti Communiste serait la seule véritable force d’opposition, et aurait manqué d’audace pendant la campagne, peinant à convaincre un nouvel électorat.  « Je pense que pour la plupart des jeunes, les autres partis ne comptent pas, on n’a pas beaucoup d’information sur la politique », souligne pour sa part M. Kimoto. Selon lui, la plupart des jeunes sont bien plus préoccupés par leurs activités sociales ou les perspectives d’emploi que par la politique.

Lorsqu’on lui demande pourquoi le LDP apparaît comme un bon choix pour beaucoup de jeunes, son ami Yamanaka résume : « Abe est intelligent, il vient de l’université de Tokyo [la meilleure université du Japon], et il présente bien à l’étranger, en diplomatie ». « Il est bon pour ça [les discours, la politique] » renchérit Kimoto. « Au Japon, on ne pense pas que l’on peut vraiment changer l’économie ou la politique [avec notre vote] », rajoute-t-il, un peu critique.

Lui et son ami n’ont pas pu aller voter ce dimanche, et ils soulignent que pour beaucoup, le vote n’est pas une question de conviction mais de tatemae [comportement social que l’on arbore en public]. Leurs yeux se croisent et ils rient, ajoutant « Baka dakara [parce que [l’on] est un peu stupides], les jeunes ne s’intéressent à rien ».

 

Alix Mathieu

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