Police(s)
19H10 - mardi 26 juillet 2016

Attentat de Nice : à quoi joue Christian Estrosi ?

 

L’attentat du 14 juillet qui a fait 84 morts et plus de 300 blessés continue d’alimenter la polémique entre l’ex maire Christian Estrosi et le gouvernement. 

Christian Estrosi - Crédit photo : christian-estrosi.com

Christian Estrosi – Crédit photo : christian-estrosi.com

Alors qu’une quinzaine de blessés luttent encore contre la mort à l’hôpital, les polémiques d’après attentat se multiplient à Nice. Même si la droite semble se calmer un peu ces derniers jours (les sondages qui montrent l’exaspération des Français et leur soutien à l’union nationale ont certainement joué), l’ex maire et nouveau président de la région PACA Christian Estrosi continue à alimenter la vindicte anti-gouvernementale, accusant Bernard Cazeneuve de « mensonge ». Une attitude qui commence à agacer de plus en plus de cadres et d’élus chez Les Républicains.

« Estro perds ses nerfs, on a l’impression qu’il mène un combat contre lui-même, lui qui avait voulu faire de Nice un havre sécuritaire se trouve face à une réalité qui le dépasse », juge sévèrement un cadre du parti qui ajoute qu’on ne « pourra pas le suivre longtemps les yeux fermés ». En cause selon ce cadre : la dernière polémique lancée – avec l’aval de l’ancien maire – par la cheffe du centre de supervision urbain Sandra Bertin le weekend dernier affirmant avoir reçu des pressions de la place Beauvau pour rédiger un rapport qui démontrerait que la police nationale était bien présente le soir de l’attentat. Même les syndicats de la police municipale de Nice qui compte un peu plus de 400 agents ont pris leurs distances avec leur collègue qui aurait agi « perso » selon eux. La cheffe du centre de supervision qui coordonne les 1480 caméras de vidéosurveillance de la ville affirme depuis ce weekend ne pas connaitre Christian Estrosi et n’en « être absolument pas une proche ». Pourtant, ses nombreux tweets de soutien à l’ancien maire de Nice et ses attaques répétés contre la politique du gouvernement notamment en termes d’Education nationale ne sont pas le signe d’une impartialité parfaite ! Pour éviter d’alimenter une contre-polémique, la policière municipale à précipitamment fermé son compte Twitter avant la publication de son témoignage dans le Journal du Dimanche.

 

Polémiques, polémiques : vérités et contre-vérités

 

Les policiers municipaux et nationaux à Nice étaient-ils en nombre suffisant le soir du feu d’artifice ? Cela ne va pas plaire mais au vu des chiffres avancés par le ministre de l’Intérieur sur le nombre de policiers mobilisés sur la Promenade des Anglais le soir de l’attentat, il faut se rendre à l’évidence. Il y avait bien un dispositif suffisant pour sécuriser le feu d’artifice qui a rassemblé 30 000 spectateurs. En France, on compte trois policiers pour 100 habitants en temps normal. Le soir de l’attentat, on estime le nombre de policiers municipaux et nationaux à 110 sans compter les 20 militaires de l’opération Sentinelle. La vérité des chiffres est parfois implacable.

Pour les fêtes de Bayonne, qui rassembleront chaque soir 200.000 personnes dans les rues de la capitale basque, le nombre de policiers mobilisés sera d’un peu moins de 1.000 hommes, soit proportionnellement autant qu’à Nice le 14 juillet. Même si la police nationale ne comptait qu’une quarantaine de fonctionnaires en tenue à Nice le soir de l’attentat, le calibrage pour un tel évènement était conforme. La question du nombre est un mal « bien de chez nous ».

 

Quid de la restriction de circulation des poids lourds en ville ? Comme de nombreuses villes en France, Nice a pris des arrêtés municipaux pour restreindre la circulation des poids lourds en ville. Si les poids lourds dont le PTAC est supérieur à 3,5 tonnes  peuvent circuler en général le matin de 5h à 9 ou 10 heures pour assurer les livraisons, il est en principe rare que dans des villes comme Nice, les camions puissent circuler en pleine journée et encore plus rare le soir sans une dérogation spéciale. Dans le cas du 19 tonnes de Nice, on sait aujourd’hui que son chauffeur avait sillonné pendant deux jours la ville de long en large sans éveiller les soupçons… Quel intérêt donc avait-on à publier des arrêtés municipaux si aucun agent de la ville n’était en mesure de le faire respecter ?

 

Des blocs de béton absents : la faute à qui ? Christian Estrosi n’en parle plus et pour cause. Très vite après le drame, l’ancien maire de Nice s’est interrogé sur l’absence de blocs de béton aux entrées de la zone piétonne de la Promenade des Anglais. Estrosi s’emmêle les pédales accusant la police nationale de ne pas avoir posé ces blocs. La polémique a pris fin lorsqu’un élu de Nice a expliqué sur RMC que la dépose des blocs était de la responsabilité de… la police municipale de Nice, qui a même investi il y a quelques années dans l’achat d’un camion spécialement conçu pour transporter et installer ces blocs d’une ou deux tonnes.

 

Nice est la ville la plus vidéo-surveillée de France…  mais est-elle la plus sûre ? Christian Estrosi, lorsqu’il était maire de Nice était très fier de la création de son complexe de vidéo-protection ultramoderne qu’il a inauguré et surmédiatisé en 2010. En 2015, on comptait à Nice un peu moins de 1 500 caméras  de surveillance sur la voie publique, soit une caméra pour 200 habitants ! La ville avait alors aussi investi dans le recrutement d’une grosse centaine de policiers municipaux (53 millions d’euros de frais de fonctionnement selon nos confrères du Monde) pour assurer les missions de vidéosurveillance en permanence. Mais ces moyens colossaux n’ont pas pour autant permis d’éradiquer la délinquance  à Nice. La ville était même en queue de peloton pour les atteintes aux personnes et aux biens selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, publiés trois ans après l’inauguration de ce maillage vidéo.   

Dernier sujet de polémique : la responsabilité du loueur de camion. Là encore, des zones d’ombre restent à éclaircir. Le terroriste de Nice avait loué un camion le 11 juillet pour trois jours. Il devait rendre le poids lourd le 13 juillet en fin d’après-midi. Or, le camion n’est jamais revenu au dépôt Via de Saint-Laurent-du-Var. Dans les heures qui ont suivi, personne ne semble s’en être inquiété. Sauf information que nous n’aurions pas, personne au dépôt n’aurait pris l’initiative de contacter le locataire. Et encore moins de signaler la disparition du camion aux autorités compétentes. L’enquête devra là encore faire la lumière sur d’éventuelles failles de la société de location.

Au final, une fois de plus, l’instrumentalisation politicienne de tragédies sécuritaires risque de de nuire à l’unité nationale et de se retourner contre celles et ceux qui en abusent.

 

Marc Omri Ezrati

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