C’est un discours capital, destiné tant au peuple marocain qu’à la communauté internationale, qu’a prononcé le roi du Maroc, Mohammed VI, samedi 20 août. Même Le Monde en a même fait sa grande une du soir quelques jours plus tard.
Dans un discours prononcé à l’occasion du « 63ème anniversaire de la Révolution du roi et du peuple » (jour férié qui commémore le sursaut de nationalisme que la déportation de Mohammed V par la France avait provoqué dans la population marocaine), Mohammed VI a convoqué les grandes heures du passé (lorsque le Maroc apporta son soutien à la lutte d’indépendance des Algériens) pour tendre la main à l’Algérie. On connaît les querelles de voisinage qui opposent l’Algérie et le Maroc.
Dans ce discours, qu’Opinion Internationale publie en intégralité, le roi du Maroc aspire « […] au renouvellement de cet engagement et de cette solidarité sincère qui unit depuis toujours les peuples algérien et marocain, afin de continuer à œuvrer ensemble, avec sincérité et de bonne foi, pour servir les causes maghrébines et arabes et pour relever les défis qui se posent au continent africain ».
Dès le lendemain, Ramtane Lamamra, le ministre des Affaires étrangères de la République algérienne saluait cette prise de parole forte et rappelait que le Président Bouteflika avait adressé un message au roi Mohammed VI appelant au renforcement des relations entre les deux pays en vue d’avancer ensemble sur le chemin « du progrès et de la prospérité », preuve de la volonté de l’Algérie de coopérer avec le Maroc « dans tous les domaines ». La presse algérienne a d’ailleurs largement couvert le discours du roi.
Cette prise de parole royale, qui insiste longuement sur le destin africain du Maroc, s’inscrit dans les grandes manœuvres déployées actuellement par le Maroc pour jouer un rôle central accru en Afrique. D’où son retour récent au sein de l’Union africaine.
Contre le terrorisme
La deuxième partie du discours du roi concerne la lutte contre le terrorisme et le fondamentalisme. Plus explicitement que jamais, Mohammed VI revêt et assume sa stature de Commandeur des croyants pour enjoindre les citoyens marocains dans le monde à prendre leur part dans la lutte contre les obscurantismes.
Les lecteurs d’Opinion Internationale ont déjà été sensibilisés à l’approche marocaine de l’Islam, – approche modérée et stratégique qui explique notre attachement à suivre de près les affaires marocaines [lire notre Bienvenue dans le royaume de l’Islam modéré].
Samedi dernier, Mohammed VI invitait donc « les Marocains résidant à l’étranger à rester attachés aux valeurs de leur religion et à leurs traditions séculaires face à ce phénomène [le terrorisme] qui leur est étranger. »
Sur ce plan, le discours du roi revêt une force particulière car son approche du terrorisme ne se limite pas à des prescriptions sécuritaires. On sait que le Maroc est pourtant très impliqué dans la lutte anti-terroriste, en lien avec la France et de nombreux autres pays. Mais le roi va beaucoup plus loin et appréhende cette guerre qui nous frappe tous dans sa globalité.
Approche sociale et économique tout d’abord : le roi n’hésite pas à souligner les échecs de la politique migratoire en Europe, mettant en avant le modèle marocain qui a consisté, notamment, à régulariser de nombreux migrants africains ces deux dernières années. « Nous regrettons les dérives qui ont marqué la gestion des questions de la migration au niveau de l’espace méditerranéen, faisant l’impasse sur toute politique réelle d’insertion des immigrés. […] La situation issue de la problématique migratoire et des drames humains endurés par les immigrés ne cesse de s’aggraver en raison de la propagation du phénomène extrémiste et terroriste et de la tentative de le relier, à tort ou à raison, aux immigrés, surtout en Europe. » Le roi a raison de souligner les perverses interactions entre des situations sociales inégalitaires, dans lesquelles les immigrés et leurs enfants ont été trop longtemps enfermés, et la montée des extrêmes.
Mais dans ce discours clé, l’approche du roi du Maroc est surtout celle du Commandeur des croyants : Mohammed VI développe tous les arguments théologiques expliquant aux citoyens de confession musulmane dans le monde pourquoi l’Islam est une religion de paix qui est entièrement tournée vers la modernité. Le roi s’adresse aux Marocains mais son discours vaut pour tous les musulmans dans le monde.
Voir un chef d’Etat donner une leçon de théologie, voilà selon nous l’élément clé qui permet, bien plus que des clips vidéo accrocheurs et sécuritaires, de dissuader des jeunes – et des moins jeunes, de s’engager dans les voies eschatologiques proposées par Daech.
Un lecteur français laïc sera peut-être gêné par ce discours aux accents religieux mais notre conviction est que c’est sur ce terrain des valeurs, du sens que l’on donne à la vie que les citoyens trouveront les réponses à la perte de sens que cette même modernité a peut-être suscitée dans ses excès et ses dérives. En France comme ailleurs dans le monde, les croyants ont besoin de réenchanter leur foi et de l’actualiser dans le monde tel qu’il est et tel qu’il va : le roi Mohammed VI montre le chemin aux musulmans et c’est très bien ainsi.
Le discours prolonge la création en mars 2015 de l’Institut Mohammed VI de formation des imams et des prédicatrices qui reçoit des pensionnaires africains et européens venus se former pendant plusieurs années.
En juin 2016, le roi avait inauguré cette fois la Fondation Mohammed VI des oulémas africains, rassemblant de théologiens de toute l’Afrique. Une initiative qui vise à asseoir Rabat comme l’épicentre de l’islam africain, selon les termes du quotidien Le Monde.
Saluons la pensée qu’a le roi pour le prêtre français, Jacques Hamel, sauvagement assassiné à St-Etienne du Rouvray : « Bien évidemment, nous condamnons vigoureusement le meurtre d’innocents, et sommes convaincus que l’assassinat d’un prêtre est un acte illicite selon la loi divine, et que son meurtre dans l’enceinte d’une église est une folie impardonnable. Car c’est un être humain et un homme de religion, quand bien même il n’est pas musulman. »
Nous reviendrons prochainement sur ces enjeux de sens, mais retenons ce qui est peut-être la phrase clé du discours de Mohammed VI : « Face à la prolifération des obscurantismes répandus au nom de la religion, tous, musulmans, chrétiens et juifs, doivent dresser un front commun pour contrecarrer le fanatisme, la haine et le repli sur soi sous toutes les formes. » Un Appel à une Alliance des spiritualités éclairées que nous promouvons depuis longtemps, et qui prend toute sa force – et toutes ses chances de concrétisation – dans la bouche d’un chef d’Etat…
Michel Taube