Le Traité sur le Commerce des Armes (TCA) existe. Les signataires se sont retrouvé à Genève fin août pour lui donner un nouvel élan, depuis son entrée en vigueur en décembre 2014.
A Genève, les artisans du TCA se sont évertués du moins verbalement pour que les armes de tous calibres ne soient pas mises au profit d’opérations militaires qui se traduisent par le massacre de civils et/ou des formes de génocide. L’intention est louable. Mais où en est-on ?
Il s’agit à la fois de libéraliser un secteur en plein boom et de règlementer, sanctionner, fluidifier et moraliser ce commerce difficilement équitable. Appliquer la traçabilité est un défi car le secteur se nourrit de l’ombre et du secret, tout comme le monde opaque des stupéfiants. Il baigne dans le trucage et les combines qui feraient pâlir d’envie les magouilleurs de la FIFA. Voilà un peu la quadrature du cercle auquel se heurtent les protagonistes du TCA depuis 20 ans, depuis que des lauréats du Prix Nobel (de la paix) ont appelé à la création d’un code de bonne conduite sur le transfert des armes.
Soyons concret : un grossiste membre de l’UE et qui a appris par cœur la liste des Etats frappés par un embargo de l’ONU doit jouer des coudes dans cette arène où tous les coups et pots-de-vin sont tolérés. En tant qu’exportateur, il est censé savoir que ses interlocuteurs ne sont pas logés à la même enseigne. Certes, il n’y a pas de tricheurs avérés, uniquement des consommateurs zélés, comme par exemple l’Indien, l’Egyptien ou le Vietnamien (pas soumis à embargo) qui réclament gentiment que les pièces détachées ne fassent pas partie des négociations TCA. Parmi les « petits » trafiquants qui préfèrent le « shopping » sur le marché gris-noir, la majorité se méfie d’une règlementation qui les mettrait hors-jeu, hors-course. Ils préfèrent donc s’abstenir en invoquant avec fierté – comme le Cubain, l’Indonésien et le Libyen – le droit de chaque Etat de produire, stocker, ou acquérir des armes pour les besoins de sa défense en se référant, ironie de l’histoire, à l’article 51 de la Charte des Nations. Idem pour l’Erythrée, ce désespérado du Tiers Monde qui engloutit plus de 8 % de son PIB au profit de ses dépenses sécuritaires.
Le marché européen
L’honorable commerçant européen a tendance à s’octroyer le rôle de donneur de leçons (en tant qu’adhérent au TCA), mais primo, tous les Européens ne sont pas synchronisés et le laxisme des uns fait le bonheur des autres. Ainsi, le Parlement Européen soumet -en vain – de belles résolutions sur le contrôle et la transparence. Les Pays-Bas prônent un embargo sur les armes à destination de l’Arabie Saoudite, mais les collègues de l’U.E, France et Grande-Bretagne en tête, ne suivent pas. Le Conseil fédéral à Berne, sous la pression de l’industrie indigène, a assoupli sa législation et, du coup, autorise l’exportation de matériel vers plusieurs Etats impliqués dans la guerre de pacification au Yémen (une tragédie bien relayée par les ONG, et aux dépens des situations au Zimbabwe ou au Kurdistan Turc). Les Belges se font discrets, mais la moitié des armes légères à destination du Moyen-Orient proviennent de chez eux ; et les représentants de l’industrie wallonne (la FGTB Métal) ne veulent pas perdre une part de marché ; à leurs yeux, une politique trop moralisante « aboutirait à pénaliser FN Herstal au détriment de ses concurrents européens ».
Secundo, les Européens qui se sont approprié un quart des exportations mondiales entre 2010 et 2014, jouent dans la cour des « Grands ». Ils doivent concurrencer les Américains qui ces dernières années ont joué les prolongations ; ils vont prendre leur temps pour ratifier le TCA, comme pour le traité d’interdiction des essais nucléaires, le CTBT (*). Ils sont ravis que les munitions soient exclues du TCA puisqu’ils fabriquent 6 milliards de balles par an.
Les autres poids lourds du secteur sont encore moins accommodants. Le Russe, le Chinois et l’Indien, qui ont refusé d’adhérer au traité d’interdiction des mines antipersonnel (Convention d‘Ottawa), boudent le TCA. Le Russe ne veut pas entendre parler d’un embargo des armes à la Syrie et conteste la valeur d’un traité …qui ne mentionnerait pas l’interdiction de la dispersion d’armes (US) dans l’espace extra-atmosphérique. Moscou aurait été plus inspiré de réclamer que soit inclue une règlementation sur le commerce de matériel nucléaire, sachant combien la frontière entre le nucléaire et le classique est de plus en plus floue et combien l’Occident a été réticent (la France, pas l’Allemagne) à tout registre sur les armes nucléaires.
Le Chinois, quant à lui, s’approvisionne aussi sur ce marché international de 80 à 100 milliards de dollars et ne semble pas souffrir de l’embargo (relatif) qui le frappe depuis le massacre de Tian’anmen de 1989.
Comme l’Israélien, le Brésilien et tant d’autres – 69 États sur 193 l’ont ratifié, dont 17 Etats africains sur 54 – le Chinois se positionne. D’ailleurs, c’est dans le panier « armes légères » made in China que la Libye de Mouammar Kadhafi s’est procurée des roquettes et des mines antichars. Aujourd’hui, à la barbe des Occidentaux, Pékin approvisionne les milices au Darfour (en concurrence avec les Ukrainiens). Le Chinois a aussi été le fournisseur de munitions, grenades, mortiers et obus de mortier au pays de Mugabe qui n’a pas l’intention de se plier aux règles de conduite du TCA. Frappé par un embargo décrété par l’ONU, le Zimbabwe s’approvisionne via la filière République Démocratique du Congo, (RDC). Cet Etat attire aussi du matériel militaire nord-coréen et l’on soupçonne Kim Jung Un (frappé d’un embargo) de convoiter l’uranium congolais, un uranium qui a déjà du sang sur les mains puisqu’il a servi en son temps au projet Manhattan et plus précisément à l’explosion de la bombe d’Hiroshima.
Comme semblent le confirmer les négociations à Genève, nombreux sont les acteurs allergiques à l’idée de communiquer de façon transparente leurs ventes et leurs achats. Le registre de l’ONU en témoigne. De plus, les critères pour distinguer les « bonnes » des « mauvaises mains » auxquelles cet équipement mortifère est destiné sont loin d’être universels et subissent les aléas de la géopolitique du moment. A défaut d’un consensus politique sur l’échelle de Richter des indignations, d’une ligne de conduite applicable à tous les dealers de grands chemins, un effort doit être entrepris sur le plan technologique. Après tout, la durée de vie des armes excède très souvent, voire trop souvent, la durée des conflits et c’est pourquoi, par exemple, du matériel vendu par la France aux « rebelles » libyens a atterri entre les mains des groupes djihadistes maliens. Or, la technologie existe pour réduire la « durée de vie » (sic) du matériel et l’on pourrait miser sur l’obsolescence programmée, qu’elle s’étende aux lance-missiles portatifs, aux missiles antichars, ou aux mortiers comme elle s’intègre déjà aux ordinateurs. Reste que la technologie des armes de guerre à distance est impossible à contrôler …
Bref, le TCA qui n’est pas un traité de désarmement a le mérite d’exister. En se rappelant que le business des armes est un art, un art subtil. Il permet au marchand d’armes de s’enrichir, de narguer parfois un concurrent en misant sur des filières moins balisées, et de ne pas plaider coupable pour les dégâts collatéraux. Le métier de commerçant exige un terrain favorable (250 conflits au cours de la dernière décennie) et … du talent. Il en exigera davantage car le commerce des chars, des hélicos ou des avions de combat sera peut-être un jour autant régulé (ou presque) que celui des bananes. On peut toujours rêver…
Amnesty réclame le respect du TCA par la France
Dans un communiqué de presse rendu public à l’ouverture de la Conférence des Etats parties du Traité sur le Commerce des Armes (TCA), Amnesty International, tout en saluant son entrée en vigueur il y a deux ans (87 Etats l’ont ratifié), réclame une plus grande transparence sur les transferts d’armes des États parties, une mise en œuvre la plus efficace possible du Traité afin que les transferts d’armes n’alimentent plus la souffrance humaine, et la nécessaire universalisation du Traité.
Concernant la France, acteur majeur dans l’adoption du Traité sur le Commerce des Armes et 4ème pays exportateur d’armes au monde , Amnesty dénonce le manque de transparence de la France sur ses transferts, certaines ventes d’armes contraires aux dispositions du TCA, tels que celles vers des États membres de la coalition militaire menée par l’Arabie saoudite au Yémen ou encore à destination de l’Egypte, enfin l’absence d’un cadre juridique permettant de dissuader et réprimer les violations d’embargo sur les armes ainsi que le manque crucial d’un dispositif juridique complet permettant de contrôler l’activité des intermédiaires (courtiers, transporteurs financiers) intervenants dans la réalisation des transferts d’armes.
Ben Cramer
Détenteur d’un diplôme de la Paix, Ben s’initie à la polémologie – avant d’étudier la sociologie de la Défense à l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales, puis à Bradford, au Department of Peace Studies. On lui doit alors (1985) un rapport sur l’armée de milice suisse – réalisé pour le compte de la Fondation pour les Études de Défense Nationale. Journaliste, ‘(The Ecologist’, Science & Vie, producteur à RFI (de 1996 et 2002), de l’émission ‘Fréquence Terre’. C’est alors l’occasion de préparer des émissions (Paroles d’Acteurs) pour l’Agence Française de Développement (AFD); de contribuer à l’Atlas Mondial du développement Durable, d’A.M. Sacquet, édité par Autrement, avant d’être animateur pour SBS – Special Broadcasting Service, à Sydney. Co-auteur d’une encyclopédie interactive de l’eau L’Or Bleu », éditée par Strass en coopération avec le Programme Hydrologique International de l’UNESCO récompensée par le Prix Moebius Multimedia 1999.
Il co-anime dès 2008 le premier débat au Parlement Européen sur le thème de ‘Sécurité Collective et Environnement’. Sous l’égide du Bureau International de la Paix, à Genève, il publie en 2009 Nuclear Weapons: at what cost?, traduit (depuis) en finnois, dans le cadre d’une campagne avec l’ONG ‘Frères des Hommes’ qui milite sur le front ‘Désarmer pour combattre la pauvreté’ avec Ekta Parishad en Inde. Chercheur associé au GRIP à Bruxelles, (sur l’empreinte des activités militaires et le dérèglement climatique), il cherche à populariser le concept de « sécurité écologique ». Vice-président de l’Association des Journalistes pour l’Environnement (AJE), et membre des Journalistes Ecrivains pour la Nature et l’Environnement, (JNE), il a participé à un groupe de réflexion sur la prolifération nucléaire au sein du Centre d’Etudes et de Recherches de l’Enseignement Militaire, le CEREM. Il est l’auteur (fin 2014) de ‘Guerre et paix et écologie’ aux éditions Yves Michel.