A l’occasion de l’ouverture des Jeux paralympiques, Opinion Internationale a rencontré des champions qui donnent un regard positif sur le handicap.
« Ne vous demandez pas ce que vous pouvez faire pour les personnes handicapées mais ce que les personnes handicapées peuvent faire pour vous ». La vie de Ryadh Sallem est un roman. Né en Tunisie, cette victime de la Thalidomide n’a jamais voulu conserver ce statut et a préféré endosser celui de sportif de haut niveau : nageur puis basketteur puis rugbyman. Une position qui lui a offert une fenêtre médiatique importante et lui confère aujourd’hui une place à part dans la société française. Entretien avec un personnage hors normes pour qui l’action prime sur tout.
Comment appréhendez-vous vos cinquièmes JO ?
Avec un mélange de joie et de tristesse, car je ne me sens pas forcément prêt à participer à l’une des plus grandes fêtes du monde dans un pays déchiré. Comment jongler avec la vie du quotidien et ce côté magique : qui doit impacter l’autre ? Est-ce le rôle des JO de redonner de l’espoir ? En 1992 et 2000, j’avais adoré Sydney et Barcelone, en 2012 j’ai été bluffé par l’organisation anglaise. Mais en 2014, quand on m’a proposé d’aller à Sotchi pour les JO d’hiver, j’ai dit non car la Russie était en guerre avec l’Ukraine.
Vous avez fait référence à Londres, cette édition a-t-elle selon vous permis aux Jeux Paralympiques de prendre une nouvelle dimension, grâce à l’accueil du public et des chaînes enfin présentes ?
Oui, mais cela avait déjà bien bougé à Pékin en 2008. En France, le mouvement handisport a vraiment pris une autre dimension depuis Marie-George Buffet (ministre de la Jeunesse et des Sports de 1997 à 2002). Il a été amplifié par Jean-François Lamour (ministre des Sports de 2002 à 2004). Et depuis, il suit une belle dynamique, comme le prouve la reconnaissance du sport adapté par Bernard Laporte (secrétaire d’Etat aux Sports de 2007 à 2009).
La suspension de la délégation russe gâche-t-elle déjà en partie la fête à Rio ?
Cela gâche toujours un peu la fête, que la nation soit grande ou petite. J’avais aussi peur que les petits Etats (entre 40 et 60 nations) n’aient pas le budget pour se rendre au Brésil.
Vous avez créé avec des amis l’association Cap Saaa Paris en 1995 ? Pourquoi « Art et Amitié » dans l’acronyme ?
L’art parce qu’il y avait parmi nous des artistes (peintres, musiciens…) lourdement handicapés. L’amitié parce que, au sein du club de basket, on était surtout une bande de potes. Et parce qu’on voulait intégrer à notre monde les personnes qui n’ont pas de handicap. Nous avons d’ailleurs détourné le slogan de Kennedy pour l’adapter à notre vision. Cela a donné « Ne vous demandez pas ce que vous pouvez faire pour les personnes handicapées mais ce que les personnes handicapés peuvent faire pour vous. »
Vous êtes aussi le vice-président de l’Agence pour l’éducation par le sport (Apels) qui fête ses 20 ans cette année. Quel bilan tirez-vous des ces vingt années d’engagement auprès des plus jeunes ?
Avec le recul, je me dis : heureusement que les éducateurs utilisent le sport pour tenter de donner de l’espoir à certains gamins dans les quartiers ! On ne leur donne quasiment pas de moyens et ils font en sorte que le pays ne soit pas à feu et à sang… Il faut réinvestir dans le sport et la culture et arrêter d’être dans l’immédiat.
Comment vivez-vous le handicap en France et comment est-il perçu selon vous ? Votre médiatisation a-t-elle permis aux Français(e)s de mieux comprendre la thématique ?
Il faut faire attention quand on parle de handicap. Tous les quatre ans, la grande famille du sport se rassemble avec les JO. Dans le handicap, on le fait chaque année avec notre association. J’amène peut-être un éclairage sur un domaine, le sport, mais on représente un pays, notre discipline et notre club, pas notre handicap ! Cette loi de 2005 a fait du bien (l’embauche de personnes handicapées) mais aussi du mal (il n’y a pas eu d’accompagnement sur l’accessibilité). Au lieu d’accompagner les commerçants, les collectivités, et les entreprises, on a attendu… Même si certaines personnes ont anticipé le coup.
Lors de votre rencontre avec la journaliste Frédérique Bedos vous avez déclaré « qu’on n’était pas prêts » à vous recevoir : l’attitude de la population a-t-elle changé vis-à-vis du handicap ?
Oui, notamment grâce à la loi qui a permis d’intégrer les personnes handicapées dans les écoles. Mais il aurait fallu faire une intégration à double sens, c’est-à-dire faire aussi venir les valides dans des centres d’éducation. Avant, il y avait plus de pôles, mais faute de rénovations, ils ont été fermés. On met trop les choses dans des cases et au lieu de créer du bon sens, on fonctionne comme des machines. Pourquoi la simplicité ne fait-elle donc pas partie de notre culture ?
Jean-François Lamour a affirmé au Monde que vous aviez un profil de « ministrable » : seriez-vous tenté par l’aventure politique ?
Faire de la politique, c’est risqué. Car quelle est ta capacité à apporter ta vision ? Pourquoi on te prend ? Je suis plutôt sportif, entrepreneur, j’aime agir. Si c’est pour me donner un titre, sans réel pouvoir, cela ne m’intéresse pas.
Les pays qui donnent l’exemple en matière de handicap (pays nordiques, anglo-saxons) sont-ils les mêmes dans le sport (sur le terrain par leur comportement fair-play et en dehors par la professionnalisation, des structures et de l’encadrement par exemple) ?
Certains pays sont en avance dans le sport mais pas complètement sur la thématique du handicap. En France, nous avons beaucoup de belles choses, mais comment préserver cet héritage alors qu’il est train de s’effriter ? Les centres ferment, les associations ont moins de moyens financiers, Même la médecine est touchée : comment peut-on attendre sept heures aux urgences avant de voir un médecin ?
Quelles sont les chances de la France en rugby fauteuil ?
Huit équipes seront présentes avec six favoris : le Canada, l’Australie, la Grande-Bretagne, la France, le Japon, et la Suède. Notre équipe n’existe que depuis 2011 mais, compte tenu de notre potentiel, nous visons logiquement un podium. Je vous rappelle d’ailleurs que, malgré notre manque d’expérience, nous avons éliminé les Néo-Zélandais aux repêchages pour être présents à ces Jeux !
Propos recueillis par Pierre Moyon
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