Deux référendums aux issues contraires aux souhaits des gouvernants, en Hongrie et en Colombie, viennent enrichir le débat sur la légitimité du processus lui-même. Sur des points entièrement différents, les Hongrois et les Colombiens ont désavoué leurs dirigeants respectifs. Analyse comparative.
Le cas hongrois : comment voter contre l’UE sans en sortir
Face au Premier ministre hongrois Victor Orban, – le pouvoir exécutif y réside dans la primature et non la présidence -, les électeurs n’ont pas suivi son souhait de désavouer une proposition de Bruxelles de répartir les réfugiés équitablement dans les pays de l’Union. La question posée était : « Voulez-vous que l’Union européenne puisse prescrire l’installation obligatoire en Hongrie de citoyens non hongrois sans l’approbation de l’Assemblée nationale ? ».
Plusieurs problèmes se sont posés : l’installation proposée par l’Union Européenne (UE) n’est pas obligatoire comme telle, du moins d’un point de vue juridique. La République de Hongrie fait partie de l’UE et ne subit pas de diktat étranger, et plusieurs recours existent pour elle en cas de désaccord sur les modalités d’une mesure européenne. Ensuite, le plan européen prévoyait au final une installation de 1.300 réfugiés environ en Hongrie. C’est bien peu.
Ces éléments factuels permettent de dire que le problème pour le Premier ministre Viktor Orban était ailleurs. Il est engagé dans une ré-adaptation des méthodes même de l’UE, dans une optique souverainiste. Son opinion publique semble se porter vers le souverainisme teinté de xénophobie. Cependant, le bassin d’électeurs qui ne le suivent pas ont bizarrement contré son souverainisme.
Leur méthode est inhabituelle : les adversaires d’Orban ont gagné en retournant le processus légal contre lui-même. En effet, il y a un seuil minimal pour la victoire, situé à 50% de participation. Le boycott par l’opposition anti-souverainiste a produit un effet inattendu et pourtant puissant : l’invalidation du résultat par inertie. Les abstentionnistes hongrois ont été mobilisés pratiquement sans leur consentement.
Voici comment cela a fonctionné : seuls 2% des votants se sont prononcés pour un « non » frontal à Orban. D’où le résultat du Maréchal pour Orban. Mais les partisans du NON ne sont pas allés voter, faisant gonfler les abstentionnistes, habituellement à 15% à plus de 50% ! D’où l’invalidation du vote.
Le référendum est nul et non avenu. Le Premier ministre aurait pu en tirer les conséquences, c’est-à-dire démissionner comme David Cameron au soir du Brexit. Au lieu de cela, Viktor Orban a proclamé la victoire, et réitéré ses convictions sur la volonté populaire et le désir des Hongrois de rester une nation à l’identité claire, chrétienne, sans immixtion extérieure.
C’est tout de même sa première grande défaite. Le voilà stoppé, pour la toute première fois, par son propre peuple, mais sans passion ni clarté.
Le cas colombien : un rejet insurmontable des FARC
Ici la défaite gouvernementale, par moins d’un pour-cent d’écart, est plus étonnante encore. Un peuple qui rejette un plan de paix ! La chose est moins complexe que dans le cas hongrois. En effet, le président Juan Manuel Santos a mené son propre projet national autour du plan de paix qu’il a parafé avec les FARC il y a à peine une semaine, et ne faisait référence à aucune instance extérieure : il n’avait pas à défier l’équivalent de l’UE. La question référendaire était simple : « approuvez-vous l’accord final visant à terminer le conflit et à construire une paix stable et durable ? »
L’église catholique n’a pas rallié le « oui », et les évangéliques ont fait campagne pour le « non ». L’ancien président, le très droitier Álvaro Uribe, a tapageusement fait campagne pour le non. Les négociations avaient pourtant été longues entre gouvernement et FARC, à la Havane. Le plan de paix, comprenant le désarmement des FARC, la réforme rurale, la participation des anciens guérilleros à la vie politique, la fin du trafic de drogue, semblaient aboutis et sérieux.
Apparemment, la crainte d’une trop grande impunité des FARC, honnis pour leurs enlèvements pléthoriques, était un motif sérieux pour les votants du « non ». Peut-être aussi que les négociateurs du plan de paix ont-ils fait la fête trop tôt en se réunissant une semaine ava nt le référendum, alors qu’ils auraient été mieux inspirés d’attendre le résultat du peuple. Curieusement, le taux d’abstention a été de 62%, bien davantage qu’en Hongrie.
L’absence de plan B
En Hongrie comme en Colombie, aucun des deux dirigeants, Orban ou Santos, n’a de plan B. Les Colombiens ont créé la surprise, tant le « oui » était donné pour vainqueur certain, les Hongrois ont voté comme l’on se doutait. Santos promet de continuer d’œuvrer pour la paix, et ne songe pas à la démission. Toujours est-il que nous sommes devant des plébiscites frelatés : si le dirigeant gagne son référendum, il proclame avoir reçu l’onction populaire, mais s’il perd il se considère libre de réinterpréter le processus, et d’atteindre ses buts par d’autres chemins !
La construction européenne elle-même a montré la dégradation du processus référendaire. Leçon à retenir : les référendums sont des actes à la fois émotifs et solennels. Voter sur des traités complexes est mauvais : il vaut mieux voter sur des débuts de processus, et laisser les politiques travailler sur les détails postérieurement.
Aussi, voter sur des accords de paix, sans prendre en compte l’abstention, est curieusement vide, car alors seul un tiers de la population serait acquis à une cause et les abstentionnistes seraient considérés comme des non-personnes, sauf justement en Hongrie ! L’obligation de voter serait à examiner.
Le « OUI franc et massif » n’existe plus : la bonne vieille solution d’aller aux élections pour défendre une proposition lourde est une autre option. Le politique devrait engager son avenir sur une issue, puis se retirer en cas d’échec. David Cameron l’a fait, tout comme le président Charles de Gaulle en 1969. De Gaulle avait gagné quatre référendums au préalable (la Cinquième République en 1958, l’autodétermination de l’Algérie en 1961, l’indépendance de l’Algérie en 1962, le passage au suffrage direct pour l’élection du président de la République en 1962 également).
Aux États-Unis il n’y a pas de référendum national, alors qu’en en Suisse c’est monnaie courant. Le référendum est donc un procédé qui n’est pas plus légitime qu’un autre.
Le but de ces exercices devrait être la recherche d’un « soutien franc et massif », comme disait Charles de Gaulle. Mais aujourd’hui, l’on réunit rarement les deux paramètres. L’issue n’est donc pas totalement concluante. Les Européens devraient réexaminer leur relation au référendum, pour que l’édifice européen ne se disloque dans des cascades de votations contradictoires, où le seul perdant serait l’idéal européen, si tant est qu’il mobilise encore.
Harold Hyman