L’innovation technologique intrigue, inquiète et fascine à la fois. Elle nous promet un monde meilleur, mais elle attise les peurs au risque de provoquer son rejet. C’est pour expliquer comment l’innovation peut se transformer en progrès que Nicolas Bouzou, essayiste et économiste, publie « L’innovation sauvera le monde » aux Editions Plon. Un acte de foi pour nous convaincre d’entrer avec confiance dans le XXIème siècle.
« Messieurs, vous vous faites du souci à cause de la dépression, vous ne devriez pas. Car pour le capitalisme, la dépression est une bonne douche froide. » C’est ainsi que l’économiste Joseph Schumpeter avait apostrophé ses étudiants de Harvard en plein krach de 1929. Ni classique ni marxiste, Schumpeter, accusé alors d’hérésie par ses confrères universitaires, avait vu juste en affirmant, dans son ouvrage de référence, Capitalisme, socialisme et démocratie, que l’innovation est le moteur de l’économie et que les crises, certes anxiogènes et conflictuelles, sont des moments de « destruction créatrices » qui favorisent l’émergence d’innovations portées par les entrepreneurs.
Aujourd’hui, les effets de disruption et d’accélération technologique démontrent la justesse de ses théories : le capitalisme survit et se développe par l’innovation. En ce début de XXIème siècle, nous pouvons avoir l’impression que l’histoire se répète : bon nombre de nos certitudes s’effondrent sans pour autant que nous ayons une idée précise du futur, même s’il regorge de promesses et de bonnes nouvelles. La clé pour nous adapter ? « Sauver ce qu’il y a de meilleur dans l’ancien monde… tout en saisissant les promesses de ce nouveau monde hypertechnologique et en pleine mutation ». C’est, pour Nicolas Bouzou, la seule façon de transformer l’innovation en progrès et de réconcilier les peuples avec leur avenir.
Un nouveau monde
Empruntant des chemins à la frontière de l’économie, de l’histoire et de la philosophie, le livre de Nicolas Bouzou abrite deux grandes idées. Il y a d’abord le constat que les innovations technologiques que nous voyons se développer (l’intelligence artificielle, la robotique, les nanotechnologies, l’énergie solaire, l’exploration spatiale…) sont porteuses de mutations technologiques, économiques et sociales sans précédent et d’emplois. En ce sens, cet ouvrage doit être regardé comme étant une profession de foi destinée à croire dans le progrès, croire en notre capacité à surmonter nos peurs pour affronter ce nouveau monde.
En prenant appui sur de nombreux exemples (la fin de la croissance ?, la fin du travail ?…), l’auteur expose ses idées en se positionnant volontairement à contre-courant de tous les « déclinistes ». La machine tuera-t-elle l’emploi ? L’auteur affirme au contraire que l’homme et la machine ne sont pas des facteurs de production substituables, mais complémentaires. En clair : pas de technologie sans humanité. Le travail du futur gagnera enfin en intérêt quand on se sera débarrassé de toutes les tâches pénibles reléguées aux machines dotées d’intelligence artificielle. Que penser alors de ceux qui prédisent que la technologie serait un facteur de chômage massif ? Pour l’auteur, « ces craintes classiques ont toujours été démenties par les faits… Certes l’imprimerie a tué l’activité des copieurs, relieurs, enlumineurs mais elle a fait émerger des emplois chez les libraires, les fabricants de papier et d’encres… ». En somme, les pays frappés par le chômage sont victimes de leurs mauvaises politiques économiques et non de la technologie. Au global, l’enjeu pour nos sociétés étant de préparer nos modes de gestion économique, sociale, politique… face au tsunami d’innovations qui nous arrive.
« L’innovation sauvera-t-elle le monde une fois de plus ? Le problème est moins économique que philosophique ». Il est d’abord politique et économique, pourrait-on ajouter. C’est sur ce constat que s’ouvre la deuxième idée du livre quand l’auteur admet que le principal danger dans le monde aujourd’hui « réside dans le risque de conflit… Dans ce moment critique, nous devons être attentifs au fil qui relie le passé à l’avenir. Non, les modernes ne doivent pas tout détruire. Car si tout s’écroule, nous allons mourir ! »
Le temps n’est plus aux promesses de bonheur proposées par les nouvelles technologies, mais à une mise en garde sous forme d’avertissement. Le philosophe-économiste rappelle que toutes ces futures innovations propres à ce monde merveilleux « dépollué où nous vivrons trois cents ans… » ne sont pas acquises car elles sont menacées par de puissantes forces qui s’opposent et qui résistent à ces avancées. Qu’ils s’appellent partisans d’une société ouverte ou tenants d’une révolution conservatrice, « à ne pas nous adresser aux perdants de la destruction créatrice, nous risquons de voir sombrer notre civilisation dans le nationalisme, l’extrémisme ou le fondamentalisme. «
Le mythe de l’âge d’or
Comment conjurer ce scénario noir d’un effondrement de nos sociétés au motif que les technologies et les innovations cristallisent bon nombre de nos peurs ? A la façon d’un philosophe des Lumières animé par une foi humaniste, Nicolas Bouzou en appelle aux valeurs, à l’art, à l’Histoire et au fait que l’humanité n’en est pas à ce premier « grand déménagement » mais à son cinquième.
Par le passé, rappelle t-il, quatre vagues d’innovation ont déjà révolutionné la vie des Hommes : l’invention de l’agriculture il y a dix mille ans, l’invention du commerce dans le bassin méditerranéen puis la mondialisation par voie d’eau puis enfin la Renaissance jusqu’à la révolution industrielle et l’invention de la machine. A chaque fois, le monde a traversé ces phases de « destruction-créatrice schumpetérienne » et s’est adapté en surmontant ses angoisses. Pour l’auteur, les changements qui nous attendent sont tellement nombreux et importants que si nous n’y croyons pas collectivement, nous ne serons pas en capacité de supporter ces changements et nous déclinerons.
Quelles voies et moyens pour réussir à passer ce cap ? A la façon d’un pari pascalien, Nicolas Bouzou prédit que notre civilisation sera sauvée si nous sommes capables de construire un discours rassembleur portant sur notre avenir collectif qui repose sur la spiritualité, l’histoire et les valeurs. Et de conclure : « A l’heure de la 5ème grande mutation, cessez de dire à vos enfants que ce monde est mauvais. C’est faux et ce n’est pas leur rendre service que de leur faire croire que le meilleur était avant. »
Philippe Boyer
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