A la veille de l’élection des membres du prochain Conseil de l’Ordre du Barreau de Paris, Opinion Internationale publie l’entretien croisé de deux avocats candidats : Sylvie le Damany et Chems-eddine Hafiz.
Vous êtes candidats au Conseil de l’Ordre du Barreau de Paris. Que pensez-vous de cette nouveauté imposée par la loi des binômes homme – femme pour les candidatures aux organisations représentatives professionnelles ?
Chems-eddine Hafiz (CH) : Il semblerait que cette disposition légale aura vécu à l’occasion de ces élections ordinales 2016, un recours étant engagé par le Conseil national des barreaux et qui a de fortes chances d’aboutir.
Sylvie le Damany (SLD) : L’année dernière, j’ai participé à la campagne de manière individuelle. En comparaison, il est certain que lorsqu’un colistier est à vos côtés, la démarche est beaucoup plus simple mais à la condition que l’on trouve le bon coéquipier pour se lancer dans la campagne… La concertation est de mise afin de pouvoir agir ensemble et parler d’une même voix. On se répartit les tâches. Le travail est collectif et c’est bénéfique. Ce fut pour moi l’occasion de vivre une belle aventure humaine et de gagner un ami.
CH : Je n’ai pas fait l’expérience d’une campagne en solitaire. Je ne peux donc comparer. Dans le cadre d’une campagne en binôme, le choix du colistier est déterminant. Il s’agit d’un travail d’équipe où les décisions doivent être prises ensemble. Je trouve que c’est une belle expérience. C’est ce que j’ai vécu pour ma part.
L’Association Femmes et Droit soutient votre candidature. Votre profession résiste-t-elle à la concrétisation de l’égalité hommes – femmes et comment allez-vous la faire avancer au sein du Barreau de Paris ?
SLD et CH : L’égalité hommes – femmes, le statut et la place de la femme dans notre société, les violences faites aux femmes sont des combats que nous menons individuellement depuis longtemps. Ce qui nous a beaucoup rapprochés. Il est important que les femmes intègrent les organes de gouvernance des entreprises et des institutions, mais aussi au sein de notre profession. Si nos confrères nous accordent leurs suffrages, nous œuvrerons avec l’association Femmes & Droit, dont nous porterons haut ses valeurs, pour accompagner des femmes dans leur installation et dans la gestion de leur exercice. Plus largement, nous œuvrons pour la parité et la diversité au sein de notre profession. Tout est lié.
Chems-eddine Hafiz, vous êtes le co-fondateur de la Fraternité du Barreau de Paris. Que signifie la fraternité au sein du Barreau de Paris ? Et avez-vous le sentiment auprès de vos confrères que la valeur de fraternité est mise à mal comme elle l’est dans la société française ?
CH : L’avocat réalise une prestation qui n’est pas un produit commercial. L’humain est au centre de ses préoccupations. C’est sur la base de cette évidence et suite aux tragédies vécues en France en 2015 (Attentats de Charlie Hebdo, l’Hyper-Cacher, Nice, le Bataclan) que j’ai eu des échanges avec des confrères pour créer une association regroupant des avocats parisiens afin d’échanger sans tabou sur des sujets d’existence dont le but est de mieux se connaître. L’écho positif de cette initiative nous a incités à lancer des visites de lieux de culte : cette année la grande Mosquée de Paris et l’Oratoire du Louvre. Au début de l’année prochaine, nous allons organiser une rencontre à la Synagogue de la Victoire et dans une église.
Si vous êtes élus au Conseil de l’Ordre, quelle est la mesure phare, s’il y en a une plus importante que les autres, que vous comptez faire adopter ?
CH : Nous souhaitons incarner l’ouverture, la tolérance et la confraternité. Aussi, au cours de notre mandat, nous continuerons à faire vivre notre binôme et travaillerons ensemble le plus possible en fonction des sujets qui nous serons confiés. Ce seront nos valeurs communes d’altruisme et d’humanisme qui guideront nos actions.
SLD : Concernant la mesure phare, nous souhaitons que l’Ordre puisse être géré comme une vraie entreprise et que les confrères, dans la gestion de leur cabinet, intègrent la responsabilité sociale au sein du cabinet d’avocats (RSCA et norme ISO 26 000). Il faut en effet amener les cabinets à intégrer la RSE dans leur mode de management, notamment en matière de parité, de diversité et d’accompagnement des jeunes collaborateurs. Relancer cette initiative pour en faire un acte concret de gestion, sera notre credo.
S’agissant de la gouvernance de notre profession au niveau national, et de la nécessité de parler d’une seule voix vis-à-vis des pouvoirs publics, nous serons ravis de pouvoir être sollicités. Cela étant, il s’agit là d’un sujet d’envergure qui dépasse les pouvoirs d’un membre du Conseil de l’Ordre. Nous pourrons néanmoins apporter notre pierre à l’édifice si nous sommes élus.
Les Affiches parisiennes titraient, dans une interview récente : « Nous voulons allier tradition, humanité et innovation ». On croirait lire le programme d’un candidat à la primaire de la droite. En cette période pré-électorale pour la France, vous inscrivez-vous dans un cadre politique ?
CH : La politique comme vision porteuse de sens dans un cadre professionnel est naturelle et vous pouvez si vous le souhaitez qualifier nos propos comme faisant partie d’un programme d’un candidat à une primaire. Cela ne me gêne pas outre mesure.
L’Ordre des avocats doit en effet être l’élément fédérateur qui conjugue tradition, humanité et innovation. Tradition, signifie que notre déontologie basée sur la confraternité et la solidarité soit notre code de conduite qui guide nos relations : entre avocats, avec nos clients et avec les tiers. Nous devons respecter le plus ancien, aider le plus jeune, solidaire avec celle ou celui que la vie éprouve.
Humanité est une valeur fondamentale qui est contenue dans le serment de l’avocat.
Innovation enfin : l’Ordre se doit d’adapter l’exercice de la profession face à l’évolution des nouvelles technologies et plateformes…, en favorisant la formation et l’information.
SLD : Nous voulons réenchanter la profession d’avocat et pour cela il nous faut réinventer notre métier. Tel est le sens de notre message. Sur la question des legalTech, outils incontournables pour l’avocat du futur, l’Ordre doit être un vrai précurseur et combattre ceux qui sont hors la loi. C’est un sujet majeur et national.
Si nous ne réinventons pas au plus vite notre métier, nous réduirons nos champs d’intervention comme peau de chagrin. Il faut agir et ne pas être uniquement en réaction ou opposition. Il faut être force de propositions et redevenir un acteur majeur de la société civile.