On le voit débarquer plutôt pimpant de la petite navette qui traverse ce lac de l’Ouest parisien pour le mener au restaurant insulaire qui l’attend. Beji Caïd Essebsi, 90 ans au compteur, dont déjà deux passés à la présidence de l’Etat tunisien, enchaîne, fringant, les rendez-vous internationaux avec une idée fixe : donner une image moderne de son pays.
Six ans après l’onde de choc provoquée par le départ précipité de l’autoritaire Ben Ali, véritable coup d’envoi des printemps arabes, le visage de la Tunisie a changé, veut assurer le chef de l’Etat devant un parterre de journalistes, diplomates et hommes et femmes d’affaires français, réunis par le Cercle des médias. « La Tunisie a un nouveau visage, une nouvelle Constitution, ce n’est pas rien ! » insiste-t-il d’une voix assurée.
Le pays peine à se remettre des nombreux attentats qui l’ont frappé depuis le printemps 2015 ? « C’est un problème international, et la Tunisie n’est pas moins sûre que la France ou la Belgique », tacle-t-il, en ambassadeur d’une démocratie moderne. A écouter le premier président tunisien élu au suffrage universel, le défi du changement de régime était de taille. Le titre de son livre d’entretiens avec Arlette Chabot, tout juste sorti et distribué aux invités, est révélateur : « Tunisie, la démocratie en terre d’Islam ».
« Ce n’est pas rien d’avoir une pluralité de partis représentés au Parlement dans un pays à population majoritairement musulmane », se félicite-t-il. Son parti gouverne aux côtés des islamistes d’Ennahdha ? « Non, il cohabite » avec ce mouvement qu’il préfère qualifier de « musulman » et dont il constate « l’évolution ».
Retour sur la scène internationale
Il y a quelque chose de quasi-hollandien dans le discours du « ça va mieux » que déroule le maître de Carthage. Tout comme François Hollande – dont il salue « l’attitude digne » et la « lucidité » lors de l’annonce de sa non-candidature – il insiste sur le nouveau visage de son pays, qui a « remis en place les entreprises » et reprend du poids sur la scène internationale.
Sous le feu des questions de la presse du monde entier, il ne cache pas sa fierté d’avoir pu lever près de 17 milliards d’euros d’investissements futurs lors du forum Tunisia 2020, qui s’est achevé mercredi dernier, soit l’équivalent du tiers du PIB national. Ces fleurs ne sont pas encore sûres de se transformer en fruits, mais on est loin de cette époque de transition où, alors Premier Ministre, le même Essebsi devait déplorer des dizaines de milliers de départs de jeunes Tunisiens désœuvrés vers Lampedusa en quelques jours seulement.
Difficile de maintenir cet optimisme sur tous les sujets. Pourtant, le Président maintient le cap. On s’inquiète des périls de la frontière libyenne ? Des djihadistes tunisiens, les plus nombreux au monde ? « Kadhafi a laissé plus d’armes à son peuple que de Libyens », envoie-t-il, en tacle au défunt raïs. Mais il ne s’inquiète pas outre-mesure de ses voisins libyens, qui forment avec la Tunisie, « un même peuple en deux Etats ». « Nous avons enregistré beaucoup de succès dans le combat contre le terrorisme, maintenant, il faut prévoir l’avenir. Je veux laisser à mon pays un Etat du XXIème siècle », se résout le patriarche de Sidi Bou Saïd.
Cap sur la jeunesse
Cet avenir, sans grande surprise, il le voit dans la jeunesse de son pays. Tirant les leçons du passé récent, il sait toute l’importance de trouver un travail à cette génération, née soixante-dix ans après lui, et frappée de plein fouet par le chômage. Il donne de sa personne, et plaide en VRP de son pays, auprès de chacun des chefs d’Etat qu’il rencontre. « J’ai demandé au Président Obama d’accorder des bourses pour les jeunes Tunisiens. On en a obtenu 400 », se congratule-t-il, rappelant l’amitié de son peuple pour les Etats-Unis, dont la Tunisie aurait reconnu l’indépendance parmi les premiers, à la fin du XVIIIème siècle.
Celui qui était acclamé devant le parlement européen il y a quelques jours poursuit son énumération : « J’ai demandé à Bruxelles, et on a reçu un programme de 400 millions d’€ pour la jeunesse ». Maintenant, cap sur l’Afrique, continent pour lequel il s’enthousiasme. « Nous sommes des Africains ! Nous voulons aussi nous tourner vers cette partie du monde, c’est là que sont nos racines et nos branches, et on ne peut les couper. »
Après le jasmin qui avait couronné la révolution d’il y a six ans, les fleurs sont de retour dans l’économie et la société tunisiennes, à en croire M. Essebsi. De là à ce qu’elles donnent des fruits, il y a encore du chemin.
Noé Michalon