Pendant la campagne pour l’élection présidentielle américaine, le président américain élu Donald Trump a attaqué violemment la Chine et promis des mesures protectionnistes fortes. « Nous ne pouvons pas continuer à permettre que la Chine viole notre pays », a-t-il déclaré. « Nous devons empêcher que nos emplois soient volés. » La rhétorique antichinoise de Trump n’a en réalité rien de nouveau. Depuis près de deux cents ans, le ressentiment raciste envers les travailleurs chinois aux Etats-Unis est un fait de la vie américaine, remarque le site d’information Quartz. Donald Trump a profité de ces sentiments, ressassant des préjugés profondément ancrés. Il n’en demeure pas moins que ces propos en sont d’autant plus inquiétants. « La Chine est à la fois le plus grand tricheur du commerce dans le monde et le pays avec lequel les Etats-Unis enregistrent leur plus gros déficit commercial », a écrit de son côté Wilbur Ross, le futur secrétaire au commerce de Donald Trump.
A quoi ressemblera la politique commerciale du président Trump ?
Le ton est donc donné vis-à-vis de la Chine. Mais en réalité, personne ne sait exactement à quoi ressemblera la politique commerciale du président Trump, souligne The Economist. Néanmoins, les choix ministériels du président « signalent un changement majeur dans la politique commerciale ». Jusqu’où M. Trump peut-il aller ? Le protectionnisme dans le monde est en hausse. Mais si le républicain met en œuvre ses promesses de campagne, cette tendance sera encore accrue. Il a menacé de se retirer de l’Alena (« le pire accord commercial jamais signé », a-t-il déclaré). Il envisage d’étiqueter la Chine comme manipulatrice de devises et a menacé d’imposer des droits de douane de 45 % sur ses produits. En vertu de la loi de 1974 sur le commerce extérieur, il pourrait imposer des quotas ou un droit de douane allant jusqu’à 15 % pendant une période pouvant aller jusqu’à cent cinquante jours contre des pays ayant des excédents importants de balance des paiements.
Risque de guerre commerciale
Si M. Trump imposait des droits de 35 à 45 %, les gouvernements mexicain et chinois n’attendraient pas que les tribunaux de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) interviennent. Ils riposteraient avec un risque de guerre commerciale. La Chine pourrait annuler des contrats avec des industriels comme Boeing, ou perturber la chaîne d’approvisionnement d’Apple. La Chine est un grand client pour certains produits américains ; elle a par exemple représenté environ 60 % des exportations américaines de soja entre 2013 et 2015. Pékin pourrait aussi faire pression sur de nombreuses entreprises américaines opérant dans l’empire du milieu. De plus, même si Japon a ravi à la Chine le rang de premier détenteur de bons du Trésor américains selon des données officielles publiées jeudi 15 décembre et détenait en octobre 1 131,9 milliards de dollars contre 1 115,7 milliards accumulés par la Chine continentale (hors Hongkong), Pékin garde un levier de pression sur le financement de l’endettement américain.
Par ailleurs, augmenter les droits de douane serait néfaste par le renchérissement des prix des produits, la détérioration de la concurrence et la diminution des choix offerts aux consommateurs américains. De plus, se focaliser sur le seul déficit commercial est illusoire, car les produits chinois ont beaucoup d’entrants américains. Ainsi, un iPhone expédié de Chine vers l’Amérique contribue à l’excédent commercial chinois, mais aussi aux profits des actionnaires d’Apple. Selon la Deutsche Bank, la Chine ne représente que 16,4 % environ du déficit commercial de l’Amérique en biens si l’on intègre la valeur en produits américains des produits chinois. Par ailleurs, l’administration américaine n’a pas attendu Donald Trump pour agir. Entre 2013 et 2015, elle a lancé 74 enquêtes antidumping sur des produits en métaux de plusieurs pays. Le 7 novembre, elle a déclaré la Chine coupable de dumping de certains types de plaques d’acier vendues 68 % en dessous de leur coût.
Levier de pression vis-à-vis de Pékin
M. Trump a récemment cherché un nouveau levier de pression vis-à-vis de Pékin, comme le souligne L’Obs. Il a pris un appel téléphonique de la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, rompant avec 40 ans d’absence de contacts au plus haut niveau entre Washington et les dirigeants politiques de l’île que Pékin considère comme sienne. Il a déclaré qu’il ne voyait pas pourquoi il devrait respecter l’idée qu’il n’y avait qu’ »une seule Chine », position qui constitue pourtant la base de l’établissement des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et la République populaire après la visite historique de Richard Nixon à Pékin en 1972. Il a dénoncé sur Twitter les « manipulations monétaires » chinoises, estimé que la Chine n’était pas une économie de marché, et critiqué le développement d’infrastructures militaires par l’armée de Pékin en Mer de Chine méridionale.
Ces positions visent à obtenir probablement des concessions de Pékin. Mais comme le souligne l’historien Pierre Haski, chercher à contenir la Chine, y compris en s’appuyant sur la Russie, avec laquelle M. Trump veut se rapprocher, est un jeu dangereux, et ne risque au contraire que de la pousser dans l’aventurisme. D’autant plus que l’Amérique et l’Union européenne ont refusé d’accorder à la Chine début décembre le statut d’économie de marché à l’OMC, ce qui aurait conduit à un nouveau déferlement d’importations chinoises. La question se réglera en justice. Les tensions sont fortes avec Pékin. En fait, les Etats-Unis de Trump feraient mieux de chercher la conciliation et l’implication de la Chine plutôt que la simple real politik dangereuse. Et, suggère The Economist, le nouveau président américain pourrait agir autrement pour améliorer la situation commerciale que par des mesures protectionnistes. Pour stimuler les exportations américaines, il pourrait se concentrer sur l’abaissement des barrières aux exportations américaines de lait cru au Mexique et de poulet vers la Chine, qui ont tous deux imposé des restrictions à l’importation liées à la santé. En ce qui concerne les services, où l’Amérique possède un excédent commercial, un accord visant à faire face aux lourdes licences et aux processus réglementaires discriminatoires pourrait aussi stimuler les exportations. Il devrait également chercher à développer les emplois à forte valeur ajoutée plutôt que de vouloir protéger sans fin des industries déclinantes qui coûtent cher aux consommateurs et aux contribuables américains.
Edouard Pflimlin est journaliste et chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)