Le FN vient d’entrer officiellement en campagne. La bataille des idées est enfin lancée.
Alors que le FN fait profil bas et joue la carte de la modération « républicaine », le parti d’extrême droite a-t-il vraiment changé ? Au-delà de la stratégie électoraliste pour conquérir les citoyens modérés, qu’en est-il vraiment de son programme et de ses idées ? Portant sur une dizaine de thématiques allant de la sécurité à l’économie en passant par les migrations, la politique étrangère ou les valeurs chrétiennes, un livre collectif, « Décoder le FN, comment le Front national trompe les Français », analyse et décortique les contrevérités, les faux-semblants et les idées trompeuses qui nous mènent à l’impasse et, pire, conduisent à la division entre les habitants de notre pays. Un ouvrage de spécialistes et de citoyens engagés pour que la vérité éclate sur la nature du FN et de ses idées menaçantes pour l’unité de la République et le bien-être des Français.
Edouard Pflimlin, comment vous est venue l’idée de ce livre ?
En tant que chrétien, engagé à un petit niveau dans l’action sociale, en tant que citoyen intéressé par l’avenir de notre pays, j’ai toujours été frappé par les contradictions du programme du FN. Le fait qu’il induisait les gens en erreur. Mais ce qui m’a choqué au départ, c’est la contradiction entre le discours de certains dirigeants du FN et les textes bibliques. « J’étais étranger et vous m’avez accueilli » dit l’Evangile selon Saint Mathieu (25, 31-46). Or le discours du FN rejette systématiquement l’étranger et, pire, l’accuse de tous les maux. C’est insupportable. La contradiction est flagrante et les chrétiens ne peuvent voter en âme et conscience pour le Front national.
L’accueil de l’étranger, c’est l’accueil de l’autre, celui qui est différent, c’est notre prochain. Rejeter l’étranger, c’est rejeter l’autre, c’est finir par se rejeter soi-même.
C’est un ferment de division, un risque d’éclatement de la société. Le Front national dit que l’étranger menace la cohésion nationale, mais en fait c’est lui qui la menace d’éclatement par le rejet de l’autre.
Est-ce que vous rejetez les électeurs du FN ?
Non, pas du tout. Ce livre est fait pour leur montrer qu’ils sont dans l’erreur, y compris les dirigeants du FN, Marine Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen en tête. Ce livre n’est pas une attaque personnelle contre Mme Le Pen. Le livre démonte le programme du FN pour montrer que les voies qu’il veut prendre son fausses et même dangereuses, même s’il évolue sur certaines questions par tactique politicienne plus que par conviction.
En effet le FN évolue sur la peine de mort. Qu’en pensez-vous?
Marine Le Pen a indiqué lors de l’émission Questions d’Info (LCP-AFP-Le Monde-France Info) mercredi 1er février qu’elle retirait de son programme la proposition du retour de la peine de mort, « quitte à ce que les Français la rétablissent via un référendum d’initiative populaire », un dispositif qu’elle propose et pour lequel 500 000 signatures sont nécessaires. C’est une rupture apparente dans le programme. Mais cela correspond surtout à une stratégie de dédiabolisation pour paraître plus présentable. Et un référendum populaire marquerait le retour de la peine de mort. C’est un peu hypocrite. Sur le fond, le parti reste d’extrême-droite sur les questions de société.
Sur quels enjeux de société par exemple ?
En matière d’immigration, le FN agite un péril migratoire. La réalité est que le solde migratoire est extrêmement faible, c’est-à-dire la différence entre ceux qui entrent et ceux qui partent de France. Avec un solde migratoire tombé à 33.000 personnes en 2013 contre 120.000 en 2006, la France est déjà, en effet, parmi les pays de l’OCDE, l’un de ceux dont la part des flux nets de personnes étrangères dans la population active est l’une des plus faibles, ce qui en fait l’un des pays les plus fermés de la zone et rend, a priori, difficilement envisageable d’aller beaucoup plus loin dans la restriction des flux d’entrées légales.
Il n’y a pas pas péril. Qu’il y ait des problèmes localisés, on ne le nie pas. En revanche, stigmatiser l’immigrant est une lourde erreur. Les pays d’immigration sont les pays les plus dynamiques, c’est historiquement prouvé. Les Etats-Unis sont le cas le plus probant ayant accueilli au cours de leur histoire des dizaines de millions d’immigrants de toute la planète et toutes les religions. L’Allemagne qui a accueilli près d’1 million d’immigrants récemment n’a pas vu sa croissance s’effondrer ni son chômage exploser. Au contraire, le pays est en plein emploi et en excédent budgétaire. La réalité n’est pas du tout ce que présente le FN.
Justement en matière économique, qu’en est-il ?
Les maux français viennent d’abord des erreurs de politique économique et de l’absence de réformes en France continues et sérieuses. Imputer nos maux aux étrangers est trompeur. Et sortir de l’euro nous appauvrirait car le pays dévaluerait sa monnaie, ce qui entraînerait une forte hausse des prix préjudiciable au pouvoir d’achat des Français qui déjà progresse à peine et donc une hausse du chômage en réduisant la consommation des ménages et en augmentant les coûts des entreprises. Une dévaluation ne stimulerait pas aussi nos exportations car les problèmes français, c’est bien connu, sont structurels, pas des problèmes de coûts : offre inadaptée, pas assez haut de gamme, orientée vers des pays pas assez dynamiques, etc.
Quant à se ranger derrière des barrières protectionnistes et d’imposer des droits de douanes, cela augmenterait le coût des produits en France. On paierait plus chers les produits importés puisqu’il y aurait une taxe en plus sur le prix d’achat. Et surtout le risque est que nos partenaires étrangers prennent des mesures de rétorsion, en imposant à nos propres produits des taxes douanières supplémentaires. C’est perdant-perdant !
Notre dette extérieure qui ne serait plus en euros serait aussi beaucoup plus cher. On serait là encore perdant et notamment les épargnants français.
Ce n’est pas réaliste et donc trompeur.
Quitter l’euro remettrait-il en cause l’Union européenne ?
Ce serait un coup d’arrêt à la construction européenne qui va vers l’unité des peuples. L’Union monétaire a été un progrès. Les Européens peuvent voyager librement avec une seule monnaie dans tout cet espace, les entreprises n’ont pas à craindre les dévaluations perturbatrices. Veut-on revenir réellement sur tout cela ? Je ne le crois pas. D’ailleurs les sondages montrent que Français et Européens sont attachés à l’euro. Ils y voient bien les avantages.
Qu’il faille réformer la zone euro, c’est certain. Il faut plus d’unité et de solidarité avec un gouvernement de la zone euro, une union budgétaire pour qu’il y ait plus de solidarité entre les Etats riches et pauvres, une politique budgétaire moins rivée sur l’austérité. En même temps, accumuler des dettes massives, la France atteint presque 100 % de son produit intérieur brut, ce n’est pas réaliste. Bientôt, on n’aura plus aucune marge de manœuvre, Europe ou pas Europe.
Il faut plus de solidarité budgétaire mais pas la fin de l’Europe monétaire. Le FN critique la Banque centrale européenne mais oublie de dire que sans les taux d’intérêt aussi faibles imposés par la BCE la situation budgétaire serait critique dans certains pays comme la France. Des taux d’intérêt très bas cela veut dire une charge de la dette plus faible. Donc des économies de dépenses. Sans la BCE, la situation économique serait nettement pire et d’ailleurs déjà on s’inquiète beaucoup en France de la remontée des taux d’intérêt.
Est-ce à dire que le projet européen a encore un sens ?
Clairement. Le FN veut le démanteler et dit que l’Europe de Schengen est responsable de tous nos maux. En réalité, c’est l’insuffisance d’Europe qui est la source de tous nos maux. Fermer nos frontières ne changera rien, les migrants passent quand même. Il faut donc une coordination renforcée européenne pour lutter contre les flux migratoires illégaux. Donc renforcer Schengen avec des meilleurs contrôles aux frontières et ensuite au sein de cet espace mieux pouvoir coordonner l’action des justices nationales et des polices locales.
Il faut aussi renforcer la défense européenne, ce que souhaitent les Européens, tous les sondages le montrent. C’est le seul moyen de lutter efficacement contre le terrorisme et les menaces à nos frontières. Malheureusement, nous Français, n’avons pas les moyens de tout faire. Il faut se coordonner avec nos alliés, développer les coopérations et un jour aller vers une forme d’armée européenne.
Le FN dessert donc l’Europe et l’unité européenne ?
Absolument. Et en desservant l’Europe il dessert l’intérêt des Européens et des Français. Mieux vaut être unis que désunis. En cela il s’insère dans la tradition de l’extrême droite repliée sur elle-même, derrière les frontières, divisant et opposant les citoyens entre eux, rejetant l’étranger.
Le FN, n’en déplaise aux affirmations de Mme Le Pen, est bien héritier de l’extrême droite qui a conduit le pays dans la crise. Il n’a rien à voir avec le Gaullisme dont parfois certains dirigeants disent s’inspirer. De Gaulle incarnait l’unité nationale et s’est opposé toute sa vie à l’extrême droite, d’abord quand elle était au pouvoir à Vichy dans les années 1940. Encore une tromperie du FN que de vouloir tout mélanger. J’ajoute que De Gaulle était ouvert à l’international, il voulait le rayonnement de la France dans le monde, mais une France des valeurs universalistes. Pas une France du repli hexagonal.
Bref, ce livre qui aborde d’autres sujets comme la défense, la politique étrangère, certains droits… s’attache à montrer que suivre la voie du FN, c’est tomber dans l’erreur, une erreur fatale à notre pays et à ses citoyens de toutes origines.
Propos recueillis par Michel Taube
Edouard Pflimlin et journaliste au Monde et chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques.
Son livre est paru aux éditions Studyrama Bréal
Décoder le FN. Comment le Front national trompe les Français