Une fois n’est pas coutume, c’est de Paris et non de Londres que le Secrétaire général monde d’Amnesty, Salil Shetty |notre photo], a dévoilé le Rapport annuel de l’organisation sur la situation des droits humains en 2016 dans 159 pays.
L’organisation s’inquiète, au-delà des violations des libertés fondamentales, des discours de diabolisation de l’autre, tenus par de nombreux dirigeants dans le monde.
Tout en restant sur une position de neutralité chère à l’organisation, le Rapport dénonce avec force l’impact de la montée des populismes dans le monde : Etats-Unis, Hongrie, Turquie, Philippines, les atteintes aux droits des personnes sont la conséquence directe de ce climat de haine, de racisme et de rejet des minorités, propagé par des chefs d’Etat arrivés démocratiquement au pouvoir, et qui s’installe un peu partout.
La France n’échappe pas à ce diagnostic avec les sévères mesures mises en œuvre au titre de l’état d’urgence prolongé qui a entraîné des milliers de perquisitions de domiciles, d’assignations à résidence et de détentions arbitraires. Ainsi, en 2016, seules 0,3% des mesures liées à l’état d’urgence ont débouché sur une enquête judiciaire pour faits de terrorisme. En particulier, aucune des 612 assignations à résidence n’a abouti à une enquête judiciaire.
Entretien avec Camille Blanc, présidente de la section France d’Amnesty International
La situation des droits de l’Homme dans le monde est-elle plus catastrophique que les années précédentes ?
Il n’y a pas d’échelle de catastrophe lorsqu’il s’agit de droits humains. On constate en revanche une inflation de discours pouvant être perçus comme stigmatisants envers des groupes entiers de la population. Ces discours entraînent des actes de violence accrus car ils installent les citoyens dans la division, la haine et la peur.
La communauté internationale n’a pas su ou n’a pas voulu, notamment à cause de certains blocages comme le droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies, apporter une réponse adaptée voire efficace aux atrocités produites dans des pays comme la Syrie, le Yemen ou le sud Soudan.
Dans votre rapport, vous employez le terme de « diabolisation », qu’entendez-vous par là ?
Nous voulons insister sur l’aspect marginalisant et les conséquences dramatiques sur les libertés individuelles de ces discours politiques racistes qui font croire que certaines personnes sont plus humaines que d’autres.
Qui sont les champions de la diabolisation ?
Nous n’établissons pas d’échelle de valeur mais tous ceux qui généralisent un discours de haine sont des champions de la diabolisation : les propos de Vladimir Poutine au sujet des homosexuels, ceux de Donald Trump vis-à-vis de la torture, ceux que l’on peut entendre aux Philippines ou encore en Turquie sont inacceptables. Et il y en a beaucoup d’autres.
Les Français s’apprêtent à élire un nouveau président de la République. Considérez-vous que tous les candidats à l’élection présidentielle sont en mesure de prendre des engagements crédibles en matière de droits humains ?
Mais la France est à la « croisée des chemins » pour ce qui est des droits humains avec les prochaines élections présidentielle et législatives. Amnesty International France demande aux candidats de prendre dix engagements fermes en la matière. Les résultats seront publiés pendant la campagne électorale afin que les citoyens puissent éclairer leurs choix.
Soyons plus précis : la candidate du Front National, Marine Le Pen, est pour la peine de mort et soutiendra son rétablissement si des citoyens le demandent par référendum. Est-ce seulement pertinent de lui demander de respecter les droits humains si elle en rejette des pans entiers ?
Vous le savez, Amnesty International ne prend pas positions politiques. La France a ratifié de nombreux textes internationaux aux niveaux européen et international, pour l’abolition de la peine capitale. Elle est inscrite dans la Constitution française depuis 2007. Il serait impossible juridiquement pour le pays de rétablir la peine de mort, son abolition. Amnesty International poursuit son combat pour que l’abolition de la peine de mort soit universelle.
Propos recueillis par Matou Diop et Michel Taube