Opinion Internationale : Lucille Desjonquères, vous présidez le chapitre français de l’International Women’s Forum France et êtes fondatrice de Femmes au cœur des conseils chez Leyders & associates. Vous « militez » depuis des années pour que les entreprises comptent autant de femmes que d’hommes dans leur gouvernance. Pourquoi fallait-il une loi pour avancer sur le chemin de la parité dans le monde des affaires ?
La loi Copé – Zimmermann était indispensable. Tous les dirigeants d’entreprises conviennent que sans quota, ça bougera beaucoup moins vite. D’ailleurs, même avec des quotas, des entreprises attendent la dernière minute pour évoluer voire ne l’ont pas encore fait.
La situation est différente selon les entreprises : les grosses sociétés sont proches des 40% car elles avancent dans l’air du temps. Mais cette loi sera surtout utile pour les plus petites et aussi pour les ETI (entreprises de taille intermédiaire) qui sont assujetties à la loi à condition qu’elles ne soient pas en SAS (société par actions simplifiée). Les SAS en sont exemptes mais beaucoup d’entre elles ont des investisseurs et donc des comptes à rendre. N’avoir que des hommes au sein des comités stratégiques serait se priver de la performance et de la richesse que l’on trouve dans la mixité. Oui les SAS se sont pas concernées mais est-ce qu’on a besoin d’une loi pour faire des choses intelligentes et ne pas se passer de 50% de la population ? La question est posée. De nombreuses études prouvent de façon factuelle que quand les femmes sont à des postes de direction et qu’on leur laisse la parole et la liberté d’agir, les résultats sont meilleurs. Rien ne sert par contre d’embaucher une copine, une sœur, une cousine… si elles n’ont pas les compétences requises.
Qui sont les plus mauvais élèves ?
Les sociétés cotées sont plus près de 24% de femmes et les sociétés non-cotées sont à peine à environ 16%. Tirons la sonnette d’alarme car de nombreuses Assemblées Générales se tiendront au mois de juin. Au mois de mai, il va falloir que leurs commissaires aux comptes remettent un rapport dans lequel sera stipulé le nom et le nombre des femmes qui seront présentes à l’AG suivante. Si le quota de 40% de femmes n’est pas respecté, il risque d’y avoir des sanctions. Beaucoup de sociétés pensent qu’elles ne seront pas appliquées pour diverses raisons (campagne présidentielle, beaucoup de lois…). Moi je pense que les sanctions seront prises et certains en guise d’exemples.
Rien n’est prévu pour les comités exécutifs, les véritables « gouvernements » des entreprises. Est-ce que la loi Copé – Zimmermann va suffire à faire une place aux femmes dans le poste de pilotage des entreprises ?
Evidemment, dans les faits il ne faut pas que cela s’arrête aux conseils d’administration qui ne sont, pour leurs membres, que des fonctions non opérationnelles. Mais si on veut voir des femmes dans des comités exécutifs, il faut continuer sur cette lancée. Je note que la loi Copé – Zimmerman a été relayée par l’indice Zimmermann qui mesure la parité dans les grandes entreprises. Celles qui seront le plus paritaires seront mises sur le devant de la scène et sous le feu des projecteurs.
Je pense que de toute façon les sociétés qui ne se mettront pas à la parité vont avoir une image un peu poussiéreuse. Nous sommes dans une société en plein changement, en pleine innovation : le respect des femmes fait partie des valeurs de cette société.
La campagne présidentielle bat son plein, qu’en attendez-vous ?
Un futur président qui fasse vraiment bouger les lignes pendant son mandat et qui, pourquoi pas, mettra des quotas dans les comités exécutifs ! En tout cas, qu’il ne lâche pas l’affaire. Que le prochain président de la République applique scrupuleusement la parité dans son cabinet, dans le gouvernement, dans toutes ses équipes ! Qu’on se mette enfin à respecter les femmes à leur juste valeur, réellement, concrètement, et pas que dans les mots.
Quels sont les plus gros problèmes auxquels les femmes doivent faire face selon vous ?
Il y a les violences faites aux femmes que nous condamnons avec force.
Tout aussi pire, les femmes sont happées dans des stéréotypes. Elles peuvent aussi être leur pire ennemi, en n’ayant pas l’audace d’aller prétendre à une promotion alors que les hommes y courent par exemple. Il faut qu’elles se dépassent, si une formation peut les rassurer, qu’elles se forment. Il faut qu’elles aient confiance en elles et qu’elles y aillent. Beaucoup ne vont pas prétendre à un poste supérieur car elles se demandent si elles en ont la légitimité ou se disent que ce n’est pas la peine, que c’est un homme qui l’aura.
Là où elles doivent aussi changer, c’est pour parler d’argent. Les femmes ont d’énormes difficultés à demander des augmentations de salaire, l’argent est tabou. Rappelons qu’à poste égal, il y a encore des différences de salaire entre les hommes et les femmes.
Moi, je rencontre des femmes de 60 ans aujourd’hui qui me disent, « à notre époque on a l’impression que l’on progressait davantage ». Je rencontre des centaines de femmes depuis trois ans à de très gros postes, beaucoup ont souffert. Les hommes ne leur ont pas fait de cadeaux. Après, ne noircissons pas le tableau : de nombreux dirigeants estiment que la présence des femmes est indispensable, le clament haut et fort, et encouragent leurs alter-égo à faire de même.
Beaucoup de femmes dans les directions d’entreprises soutiennent François Fillon. Est-ce parce qu’il a pris des engagements spécifiques sur la parité ?
Les femmes qui votent pour Fillon adhèrent à l’ensemble de sa campagne. Le fait qu’il donne une place aux femmes ne fait que consolider un choix déjà mûri en amont.
Emmanuel Macron a déclaré qu’il souhaite faire des droits des femmes, une grande cause nationale. Bonne ou mauvaise idée ?
C’est bien mais j’attends de voir ce qu’il va mettre en place concrètement. S’il trouve des leviers pour hisser la cause des femmes et qu’il fait ce qu’il dit, cela peut jouer en sa faveur. Il ne faut pas oublier que les Françaises, c’est quand même 53% de votants. Espérons que c’est sincère.
Propos recueillis par Claire Courbet