C’est une affaire judiciaire sur fond de conflit politique marocain. En 2010, dans la région du Sahara, à Gdim Izik, des échauffourées, suite à l’évacuation de milliers de personnes d’un camp insalubre, causaient 11 morts et 70 blessés parmi les forces de l’ordre marocaines et quatre parmi les civils. Les auteurs de ces violences étaient poursuivis lundi devant la justice marocaine, devant de nombreux observateurs internationaux.
Lundi 20 mars, la huitième audience des accusés dans les événements de Gdim Izik a vu la poursuite de l’interrogatoire des accusés devant la Chambre criminelle de Rabat Salé. 4 accusés, interrogés lundi, ont refusé de répondre aux questions qui leur ont été adressées par la défense de la partie civile, à travers la présidence de la Cour, cette dernière précisant qu’elle va cependant poursuivre l’interrogatoire des autres accusés.
Témoignage de Maître Hubert Seillan, présent à l’audience de lundi.
De quoi s’agit-il ? Nous sommes en novembre 2010, à une douzaine de km de Laayoune, sur un territoire qui a été colonisé par l’Espagne jusqu’en novembre 1975, soit pendant plus de 20 ans après la fin du Protectorat français au Maroc. Ce fait n’est pas négligeable, car il est la source essentielle d’un conflit de souveraineté. Les tribus nomades qui peuplent ce territoire saharien atlantique, situé au Nord de la Mauritanie, ont tout au long de l’histoire eu des liens étroits avec l’Empire Chérifien. Des liens établis sous le nom de l’allégeance, un système contractuel proche de la vassalité en Europe. Ces liens militaires, économiques, religieux et culturels, s’étendaient également plus au Sud, jusqu’au Sénégal, au Mali, au Niger et évidemment en Mauritanie. L’allégeance a caractérisé la structure de l’Etat du Maroc jusqu’au Protectorat français en 1912. Il reste à savoir pourquoi la date du départ des Espagnols mérite une attention particulière ?
Des enjeux historiques post coloniaux
La fin du Protectorat français s’est inscrite dans le concert de la guerre d’Algérie, le Maroc ayant retrouvé sa pleine souveraineté durant le conflit algérien. Il y avait légitimement une alliance objective avec les indépendantistes algériens. Si à cette époque, l’Espagne avait libéré le Sahara, il serait tout naturellement revenu au Maroc. Mais elle a entretenu le projet d’un mini Etat facilement contrôlable. L’Algérie eut plus tard les mêmes visées, avec les bénéfices d’une porte sur l’Atlantique et d’un lien direct avec l’Afrique noire. De peuples nomades, on déclara qu’ils étaient une nation et on revendiqua l’indépendance du territoire au plan international. Mais cette double ambition fut anéantie par la stratégie juridico –opérationnelle du Roi Hassan II qui après avoir reconnaitre la marocanité du Sahara espagnol à La Haye, lança l’opération marche Verte en novembre 1975. Mais en 1975, la donne internationale n’est plus la même qu’en 1955. L’Algérie qui a opté pour le socialisme, est devenue un des fers de lance de l’URSS et de Cuba en Afrique. Dès 1963, un conflit de frontières, l’a opposé au Maroc. Une courte guerre, la guerre des sables, a suivi, avec une défaite humiliante pour une Algérie auréolée de son combat et de sa jeune indépendance. Ainsi, du fait d’options politiques, économiques, sociales et culturelles en rupture avec celles de l’Occident libéral, et d’un sentiment national d’autant plus vif qu’il était récent, l’Algérie va être au Maghreb et en Afrique un instrument de la guerre froide Est-Ouest. Et, dans le contexte post décolonisation, la marocanité du territoire a moins compté que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le Maroc a ainsi été qualifié de colonisateur et le mouvement Polisario reconnu par quelques Etats comme un gouvernement en exil. Plus de quarante ans plus tard, alors que les données internationales ont bien changé, le conflit juridique est toujours présent, mais les temps ont changé.
Des enjeux actuels totalement différents
Sahara occidental pour l’Algérie et encore pour l’ONU, Provinces du Sud dotées d’un large statut d’autonomie proche du modèle espagnol, pour le Maroc, ce territoire connaît paradoxalement aujourd’hui un climat de paix et de développement que bien peu de pays d’Afrique connaissent et en particulier l’Algérie. Les pôles de villes de Laayoune et Dakhla en constituent un témoignage difficilement contestable. Traversé par la seule route qui permet d’aller de Dunkerque à Dakar dans la plus grande sécurité, ce territoire exprime une vitalité économique et sociale dont tout visiteur peut témoigner. C’est dans ce contexte que le Polisario qui ne vit que grâce au soutien de l’Algérie, s’efforce d’affirmer sa légitimité nationaliste. Depuis l’Algérie, la frontière est sécurisée contre des manoeuvres d’envergure, mais à l’intérieur, des manifestations visant la médiatisation ont mission d’indiquer que le problème reste entier. Si les troupes ne semblent pas bien importantes, en revanche l’argent ne semble pas manquer.
Des faits simplement criminels
Ainsi près de Laayoune, sur la commune de Gdim Izik, on a incité des populations dans le besoin à rejoindre un camp de tentes où elles ont bénéficié de nourriture et d’argent de poche. On peut comprendre que 15 000 personnes aient pu s’y rendre, mais en y vivant dans des conditions sanitaires déplorables. On peut également comprendre que ce camp devenait un terrain de propagande, de désordres et un abri à des délinquances multiples. Le gouvernement a logiquement décidé l’évacuation du camp. A Gdim Izik, en novembre 2010, il y eut 13 morts, 9 très jeunes gendarmes, 1 policier, 1 sapeur-pompier et 2 civils Sahraouis. Armes blanches et voitures ont fait des dégâts ! Mais le pire ne se trouve pas dans ce décompte mais dans des actes dégradants effectués sur les dépouilles des victimes. 25 accusés, en répondent devant la Cour d’appel de Rabat.
Un droit profondément renouvelé
Le procès intervient dans un Etat de droit profondément renouvelé à la fois par la Constitution de 2011, par l’affirmation constitutionnelle des droits de l’Homme avec la création d’un Conseil National des Droits de l’Homme et par des réformes fondamentales du code de procédure pénale. Jugés une première fois par le tribunal militaire, les 25 prévenus ont obtenu l’annulation de la décision par la Cour de cassation (27 juillet 2016). Celle-ci les a renvoyés devant la chambre criminelle de la Cour d’appel de Rabat, devant lesquels ils sont actuellement jugés. Ce procès se veut donc la marque du nouveau Maroc. Il doit être exemplaire et équitable entend-on partout, mais il doit permettre aussi d’honorer les victimes. L’exercice semble bien engagé. Le président, un magistrat expérimenté dans les affaires de terrorisme, ouvre largement le droit à la parole des avocats de la défense à tel point que ceux des victimes expriment un souci de plus d’équilibre.
Un procès très libre et ouvert
Les Français pourraient être étonnés de la liberté qui est ainsi accordée aux avocats d’interrompre le président et le ministère public, de les interpeller sur des points de procédure, et sur la capacité qu’ils ont à planifier les différentes étapes du procès. D’autres observateurs étrangers de tradition Française comme des Belges ou Anglo saxone comme des anglais et des américains, ont partagé mon étonnement. Cette procédure très contradictoire a peu de points communs avec la procédure pénale française, encore si inquisitoire tant elle est marquée par les premium du Président et du Parquet. Ce procès devrait donc durer un temps dont on peut dès lors dire qu’il est difficile à estimer aujourd’hui.
Sa qualité va maintenant dépendre de la nature des échanges entre les parties, nous voulons dire entre le ministère public, les parties civiles et la défense. On peut comprendre que le rôle du Président va être déterminant, car il en est à la fois l’ordonnateur et le coordinateur des débats. Il en maîtrise parfaitement les enjeux. Le ministère public, gardien des intérêts de la société, a mission de rappeler que de tels crimes ne peuvent rester impunis parce qu’ils ont été la source d’un désordre social considérable. Les parties civiles, touchées gravement tant par la disparition d’êtres chers que par les conditions particulièrement atroces dans lesquelles ils ont été abattus et souillés, expriment une très ferme volonté de réhabilitation et de mémoire. La défense, engagée dans une pensée politique, refuse cette logique judiciaire et utilise le procès comme une caisse de résonance. Il revient donc au Président de faire converger ces trois intentions et démarches. Dans le respect du nouveau droit et dans l’objectif d’un procès équitable. Ce n’est pas aisé, c’est compliqué même. Sa responsabilité est immense, mais celle des autres protagonistes ne saurait être écartée. A suivre…
Hubert Seillan, Avocat au Barreau de Paris, Docteur d’Etat en Droit
Observateur pour le Conseil National des Droits de l’Homme